Le Roi Carotte attendait Laurent Pelly depuis 1877
Histoire abracadabrante du parcours initiatique d’un roi mal éduqué chassé de son trône par une carotte à laquelle une sorcière a donné la vie, le Roi Carotte nous transporte de l’Etat fictif de Krokodyne jusqu’à Pompéi (au moment de l’irruption volcanique), en passant par un jardin où des insectes célèbrent la fête du printemps ! Avec ses nombreux changements de décors et son livret délirant, le Roi Carotte est complexe à mettre en scène, et cela explique sans doute pourquoi l’œuvre n’avait plus été reprise depuis près de 150 ans. Comme si elle attendait patiemment que Laurent Pelly se penche dessus : qui d’autre en effet pouvait donner vie à un tel opéra ?
Avec son habituel souci du détail, la précision chirurgicale de sa direction d’acteur et son inventivité (presque) sans pareil, Laurent Pelly modernise le livret (avec la complicité d’Agathe Mélinand) et réinvente les situations, parvenant même à amplifier le burlesque de l’œuvre originale et à créer de nouvelles surprises dans chacun des 11 tableaux. Se chargeant, comme à l’accoutumé, des costumes, Pelly nous régale : étudiants bizuts enfarinés, carotte, radis et navets, fourmis et autres peuples antiques, la tâche était grande et le résultat saisissant et hilarant. Ses complices de toujours, Chantal Thomas aux décors et Joël Adam aux lumières avaient la lourde responsabilité d’imaginer des univers très différents et s’enchaînant à un rythme soutenu. C’est ainsi, par exemple, qu’en quelques instants, des armoires se meuvent pour devenir, sous un nouvel éclairage, des colonnes d’une ruine de temple antique puis les maisons d’une rue animée de Pompéi. Les bibliothèques colossales qui composent le décor sont également grandioses. De même, chaque tableau recèle de ravissantes surprises esthétiques.
Pompéi au moment de l'irruption du volcan, imaginé par Pelly, Thomas et Adam (© Stofleth)
En tête d’affiche, Pelly retrouve l’un de ses fidèles interprètes, Yann Beuron. Le ténor, qui interprète le roi Fridolin, apporte toute sa gouaille au personnage, jouant chaque situation jusqu’au bout et portant à bout de bras nombre de situations comiques. Ses talents de comédien sont particulièrement appréciables dans cet opéra dans lequel les parties parlées sont conséquentes. Vocalement, il est également resplendissant, puissant quand il le faut, subtile si nécessaire (son duo avec Antoinette Dennefeld, « Vers ce gnome que j’abhorre » en est un bon exemple).
Yann Beuron (Fridolin) et Antoinette Dennefeld (Cunégonde) dans le Roi Carotte par Laurent Pelly (© Stofleth)
Le Roi Carotte est, lui, interprété par Christophe Mortagne. L’inoubliable interprète du Roi Ouf (L’Etoile de Chabrier), ancien membre de la Comédie Française, trouve là un rôle à la mesure de son talent de comédien. Déguisé en carotte, son personnage aurait pu sombrer dans le ridicule. Mais sa dégaine, ses mimiques et son « jeu hors action » le rendent irrésistiblement drôle.
Le bon génie Robin-Luron, interprété par Julie Boulianne, est également d’une grande fraîcheur. Si l’on regrette une prononciation souvent hasardeuse qui gêne la compréhension de certains passages (seuls les chants sont surtitrés !), on ne peut qu’apprécier la chaleur de ses médiums et la subtilité de ses vibratos (en particulier dans son air de présentation).
La découverte de la soirée s’appelle Chloé Briot dont la clarté vocale impressionne dès les premières notes. La Rosée-du-Soir offre une prestation toute en nuances avec une prononciation au cordeau et de beaux aigus lyriques qui ressortent de manière charmante dans les ensembles. Scéniquement, son jeu est tout à fait convaincant bien qu’elle y garde un potentiel de progression en gagnant en assurance. Antoinette Dennefeld apporte à sa Cunégonde l’effronterie que l’on avait notamment appréciée dans les Mousquetaires au Couvent. Sa performance est impeccable, avec une mention particulière pour sa scène de rires (dans le duo avec Yann Beuron précédemment cité), très convaincante et drôle.
Julie Boulianne (Robin-Luron) et Chloé Briot (Rosée-du-Soir) dans le Roi Carotte par Laurent Pelly (© Stofleth)
Jean-Sébastien Bou campe un Pipertrunck solide et puissant, de son timbre mélodieux, notamment dans les graves, et laisse une belle image d’Epinal lorsqu’il harangue les foules du haut des barricades. Lydie Pruvot se montre à l’aise dans le rôle (parlé) de la sorcière Coloquinte, en remplacement de Felicity Lott. Enfin Boris Grappe, dont les parties chantées restent limitées, offre une performance scénique tout à fait caustique.
Victor Aviat dirige l’Orchestre de l’Opéra de Lyon sans grande imagination, ce qui est dommage, Offenbach se prêtant particulièrement aux vents de folie orchestraux. Nous lui accorderons toutefois un certain panache dans l’introduction du troisième acte. Les chœurs, tantôt déguisés en étudiants, en fourmis, en aristocrates, en romains en toge, en villageois, en armures (auxquelles la sorcière Coloquinte donne vie !) ont dans cet opéra un rôle prépondérant, et s’en acquittent à merveille, participant à cette réjouissante redécouverte de l’œuvre d’Offenbach.
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