Hänsel et Gretel à Nantes : un feel-good opera
Lorsqu’un metteur en scène cherche à interroger une œuvre, il se pose nécessairement la question : qui serait le personnage, et quelles seraient les situations aujourd’hui ? Dans certains cas, la cohérence globale de l’œuvre en pâtit, tant le metteur en scène se trouve obligé de faire entrer au chausse-pied son imaginaire dans le cadre inamovible de la partition. En l’occurrence, la réflexion d’Emmanuelle Bastet sur l’œuvre de Humperdink parvient brillamment à en faire un conte moderne. Les deux enfants vivent ici dans des poubelles, entourés de chats de gouttière et de rats jouant ensemble, et dont la présence apporte du jeu scénique bienvenu. Leurs parents, travailleurs pauvres, ne parvenant pas, malgré un travail manifestement harassant, à subvenir convenablement à leurs besoins. Dans cet univers, la forêt n’est autre que la jungle urbaine où les rues se ressemblent avec leurs lampadaires partout identiques et la maison de la sorcière Grignote devient un salon de thé où s’entassent choux à la crème, meringues et barbes-à-papa.
Norma Nahoun et Marie Lenormand dans Hënsel et Gretel par Emmanuelle Bastet (© Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra)
Tout cela aurait pu créer une ambiance sinistre. Mais l’humour avec lequel le plateau se voit dirigé, la fraîcheur des solistes et les interactions bien senties (bien que déjà vues) avec le public se conjuguent aux talents de l’équipe créatrice pour proposer au contraire un conte pétillant et envoûtant. Les décors de Barbara de Limburg nous replacent dans un univers de bande dessinée. Loin du réel, les poubelles dans lesquelles vit la famille sont ainsi propres et aménagées, l’une d’elle disposant même de plaques chauffantes pour cuisiner. Les costumes de Véronique Seymat, très sobres (mais propres et dignes) lorsqu’il s’agit de la famille, sont hauts en couleurs lorsque l’on rentre dans l’univers de la sorcière. Les masques des chats et des rats (qui figurent les anges du livret original), sont réalisés avec finesse et humour. Les lumières de François Thouret rehaussent le dégradé de gris des décors et costumes du premier acte, parviennent à recréer les jeux d’ombre et de lumière des lampadaires mouvants du passage angoissant de la forêt du deuxième acte, et se font éclatants chez la sorcière dans le troisième acte.
Norma Nahoun et Marie Lenormand dans Hënsel et Gretel par Emmanuelle Bastet (© Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra)
Sur scène, Norma Nahoun livre pour sa prise de rôle une performance étincelante en Gretel, tant par sa présence vocale que scénique. Son énergie et son enthousiasme se propagent et remplissent la scène. Son chant pétille lorsque les enfants jouent et dansent, et se fait doux et subtile lorsqu’ils prient. Sa complicité avec Marie Lenormand, qui campe Hänsel, est évidente. Les deux artistes, dont la présence scénique est systématiquement liée, offrent des duos de toute beauté, leurs voix et leurs jeux s’appareillant à merveille. Un charme, une alchimie opère alors, réveillant nos âmes d’enfants lorsqu’ensemble ils jouent, se disputent, se retrouvent et s’entraident (belle image que Hänsel souffrant du froid, se séparant malgré tout de son gilet pour en couvrir sa sœur !).
Eva Vogel, de son côté, est une mère fatiguée et lasse, qui s’emporte contre ses enfants dans un accès de colère, bien loin de la mère imaginée par les frères Grimm, perdant sciemment ses enfants dans la forêt. Vocalement, elle offre de très beaux graves, mais peine parfois à passer l’orchestre. Là encore, une belle complicité existe avec Vincent Le Texier qui interprète un père aimant et sensible. La scène où les deux parents se retrouvent est magnifique, nous rappelant la joie de vivre qui illumine souvent les visages de ceux qui n’ont rien. La voix puissante du baryton-basse, au timbre rugueux mais touchant, impressionne, si bien qu'on lui pardonne aisément quelques égarements rythmiques.
Vincent Le Texier et Eva Vogel dans Hënsel et Gretel par Emmanuelle Bastet (© Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra)
Le clou de la soirée (elle n’apparaît qu’au troisième acte) nous vient de Jeannette Fischer dont la sorcière outrancière et extravagante est simultanément effrayante et drôle. Apparaissant d’abord sous l’aspect d’une vielle femme cherchant à attiser la gourmandise des enfants pour mieux les piéger, elle troque rapidement son costume de Reine d’Angleterre pour une nuisette affriolante et un boa mauve. Le décalage entre ses poses lascives et son attitude de vielle femme cruelle, provoque le même sentiment de malaise que celui ressenti face au clown méchant imaginé par Stephen King. Dima Bawab impose un Marchand de sable et une Fée Rosée agiles et espiègles, de sa voix souple et à l'aise dans les graves.
Jeannette Fischer dans Hënsel et Gretel par Emmanuelle Bastet (© Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra)
A la baguette, le chef Thomas Rösner dirige sans s’économiser l’Orchestre National des Pays-de-la-Loire d’un geste expressif et précis, et ce dernier lui répond à merveille, offrant par ailleurs des solos d’une grande subtilité. Globalement, ce spectacle restera comme une réussite à tout point de vue : l'enthousiasme du public au moment des saluts témoigne d'ailleurs de sa satisfaction.