Poésie, musique et peinture : les Promenades musicales du Musée d’Orsay
Depuis presque un demi-siècle, l’Abbaye de Royaumont accueille de jeunes musiciens et chanteurs qui viennent se former dans ce cadre magique auprès d’interprètes de renommée internationale. Très récemment (voir notre article), le musée d’Orsay a choisi de collaborer avec Royaumont pour fonder une académie de chant consacrée à la mélodie et au Lied : « l'Académie Orsay-Royaumont », dont les premiers lauréats sont Marie-Laure Garnier (soprano), Marielou Jacquard (mezzo-soprano), Jean-Christophe Lanièce (baryton), Alex Rosen (basse), et côté piano : Célia Oneto Bensaid, Kunal Lahiry, Romain Louveau et Michal Biel.
Après une
première session avec le baryton Stéphane Degout et le pianiste Simon
Lepper, les jeunes artistes ont travaillé pour ce nouveau concert en
compagnie de Véronique Gens (pour
les chanteurs) et Susan Manoff (pour les pianistes). Dans différentes salles du
musée, chacun interprète un ensemble de Lieder et/ou de mélodies, devant un
tableau dont l’esthétique et la thématique évoquent les textes des poèmes
chantés. Chaque cycle est interprété trois fois, à horaires fixes, entre 18h et
20h, juste avant le concert donné par les maîtres (un récital Véronique Gens et
Susan Manoff auquel Ôlyrix a
bien sûr également assisté). Ces « promenades musicales »
sont accessibles aux visiteurs du musée mais aussi aux spectateurs du concert
de 20 heures. Elles rencontrent pour cette première édition un vif
succès : mélomanes avertis venus exprès pour l’événement ou simples
promeneurs découvrant les concerts au hasard de leur déambulation dans le
musée, les spectateurs sont nombreux, visiblement enthousiastes devant la
qualité musicale des concerts proposés, mais aussi devant ce concept original
mêlant délibérément poésie, musique et peinture en une symbiose artistique
permettant d’enrichir le panel d’émotions ressenties à la seule contemplation
d’une toile ou à la simple audition d’une page musicale. Cela étant, le
spectateur qui souhaite apprécier l’ensemble des « promenades
musicales » et assister au concert de 20h, doit mobiliser ses qualités
d'organisation en s'appuyant sur le plan distribué par le musée, sur lequel
sont indiquées les salles où ont lieu les mini-récitals et les horaires de
chaque session.
Le baryton Jean-Christophe Lanièce, une des Révélations Classiques de l’Adami 2017 interprète le rare Poème du souvenir de Massenet. Sa voix est bien posée, son timbre est clair, il déploie une belle maîtrise du souffle et une articulation particulièrement soignée. Outre le Marcel de Bohème, notre jeunesse qu’il a récemment chanté à l’Opéra Comique, et le très abouti Pelléas, toujours Salle Favart, il fera partie des distributions d’Ariane à Naxos et de Manon au Théâtre des Champs-Élysées en mars et avril prochains.
La mezzo Marielou Jacquard (accompagnée par Michal Biel), devant La Nuit étoilée de Van Gogh, fait entendre un timbre très agréable, velouté, une ligne de chant frémissante et élégante dans la Romanze de Schubert et Die Nacht de Wolf, ainsi qu’une réelle facilité à s’approprier le répertoire contemporain (brillante interprétation de deux mélodies de George Crumb : The Night in silence under many a star et Dance of the Moon in Santiago).
La basse Alex Rosen, outre ses qualités vocales, dispose d’un vrai talent pour établir le contact avec le public, notamment lorsqu’il explique brièvement ce qui selon lui fait l’intérêt du tableau devant lequel il chante (Divina Tragedia de Paul Chenavard) ou des pièces musicales qu’il va interpréter (trois Schubert : Gruppe aus dem Tartarus, Grenzen der Menschheit, Prometheus). Graves abyssaux, grande puissance (conclusion de Gruppe aus dem Tartarus), capacité à alléger la voix, belle autorité dans l’accent : les moyens vocaux impressionnent, même s’il faut encore les peaufiner un peu (liaison entre les registres, aspérités ou raucités dans la ligne de chant).
Enfin, au dernier étage, celui des impressionnistes, la soprano Marie-Laure Garnier (accompagnée par Célia Oneto Bensaid), devant La Cathédrale de Rouen peinte par Monet, chante Die Junge Nonne et Dem Unendlichen (À l’Infini) de Schubert, ainsi que Mühvoll komm’ ich und beladen (Je suis venue à grand peine et accablée) de Wolf. La projection, la puissance sont marquantes, mais le vibrato est parfois un peu trop prononcé. Les phrases sont souvent attaquées en douceur, presque timidement, avant d’enfler progressivement : un procédé élégant mais qui ne doit pas tourner au système. La voix, dans les aigus (bien projetés) perd un peu de sa rondeur, de son moelleux. Mais là encore, comme chez les autres interprètes, les moyens sont réels et très prometteurs.
Le public en déambulation ne peut que se réjouir du niveau de ces artistes et de leur préparation. Une initiative originale qui se poursuivra lors des prochaines « Promenades musicales » du musée d’Orsay, jeudi 6 juin, avant un récital de Bernarda Fink.