À Saint-Roch, Noël is Bach
Comme souvent, un choix est opéré parmi les six cantates de Jean-Sébastien Bach (composées en 1734) qui constituent l'Oratorio de Noël. L'intégralité durerait en effet 2h30 (sans compter les pauses entre chaque cantate et, comme ici, un long entracte intermédiaire, pour le repos des cordes vocales mais aussi les temps d'accordage des instruments anciens). Le public de l'Église Saint-Roch, accueilli dans les lieux par la fameuse crèche de Noël, peut ainsi suivre en musique La naissance de Jésus (première cantate prévue pour le 25 décembre), son parcours jusqu'à L'adoration des Rois mages (sixième cantate chantée pour l’Épiphanie) avec, entre les deux, L'adoration des bergers (troisième cantate chantée le 27 décembre) et Le voyage des Rois mages (cinquième cantate chantée le dimanche suivant le 1er janvier). Une prochaine occasion permettra donc d'apprécier les Cantates n° 2 et 4 (L'annonce aux bergers chantée le 26 décembre ainsi que La Circoncision et le nom de Jésus le 1er janvier).
Les cantates suivent un schéma rituel : encadrés par un chœur introductif animant l'histoire et un choral conclusif à la gloire du divin, les airs et récitatifs s'enchaînent. Le ténor incarnant l'Évangéliste distribue la parole aux différents personnages, comme s'il les animait pour le public (d'autant plus dans la disposition choisie ici : le ténor est le seul soliste vocal au centre, ses trois collègues sur les côtés venant le rejoindre pour leurs interventions). Disposant des vertus cardinales pour ce rôle central (l'articulation et l'incarnation), Dávid Szigetvári tient sa partition d'une main, tel un cahier de contes, tandis qu'il accompagne ses intentions de l'autre. L'investissement entraîne toutefois une importante fatigue, la voix finissant par dérailler dans l'aigu.
L'alto Anthea Pichanick est également très investie (souriante même) dans l'esprit de concorde et de joie universelle prônées par l'oratorio. Respirant lorsqu'elle en a besoin, y compris pour articuler en cours de phrase, la voix reste vibrante sur tout l'ambitus, depuis un grave de poitrine caressé, vers une montée croissant progressivement.
Après leurs deux camarades, la soprano et le baryton entrent ensemble sur les deux premières cantates, pour alterner puis marier leurs chants très différents. Victor Sicard, bien investi et projeté, s'appuie sur la rondeur de ses graves articulés, alors qu'Hasnaa Bennani est d'abord très en retrait, pointant ses notes d'une voix blanche. Le duo opère toutefois progressivement, les voix se rencontrent, se rapprochent et se mêlent : la soprano trouvant l'appui sur son plexus qui lui offre une assise vocale en même temps que des résonances aiguës, le baryton articulant ses phrasés, puis ses airs en des séquences poignantes.
Même sans cette basse, le trio ne manque pourtant pas de grave, avec l'assise du ténor, la parole légèrement poitrinée de l'alto et même l'articulation râpeuse de la soprano.
Les instruments anciens de l'Orfeo Orchestra Budapest se répondent et conversent, notamment les délicats hautbois (entre eux puis avec le basson pour parler au violoncelle). La rondeur flûtée du premier hautbois, du basson et des tuyaux de l'orgue se rejoignent, mais l'orgue s'anime également, avec le clavecin, lorsque le contrepoint devient sautillant. Les flûtes affinent encore la délicatesse des ensembles, d'autant que les cuivres (pourtant si capricieux dans leur lutherie séculaire) sont ici d'une rare justesse.
L'orchestre articule, accompagne et initie les airs en avançant souplement sur les lignes rythmiques (comme d'ailleurs il semble avancer sur les périodes esthétiques : plus proche du classicisme que du baroque, par la limpidité de ses structures). Évitant les "grands effets baroques" tels que les élans soudainement accentués, la phalange n'en distille pas moins -avec prudence et mesure- quelques suspensions avant les descentes trillées.
Également fondé par György Vashegyi et tout aussi hongrois que l'Orfeo Orchestra Budapest, le Purcell Choir rend pourtant hommage à l'Angleterre, non seulement en raison de son nom mais surtout par un son rappelant la pureté et la précision rayonnantes des chants élisabéthains. La clarté s'y fait spirituelle, répondant aux instruments comme aux solistes. Sûr et inspiré, affirmé tout en douce rondeur, le chef György Vashegyi donne et accompagne les indications de chaque entrée et phrasé avec souplesse et tonicité.
Les lignes se font plus allantes dans la pénultième cantate, parcourant tous les pupitres en tournant sur des entrées fuguées, s'invitant à se rejoindre en cadence. La sixième cantate referme toujours admirablement ce cycle, notamment grâce à son imposant chœur introductif et à son choral final d'une infinie douceur.