Maria Stuarda au TCE : les femmes prennent le pouvoir
La version concert de Maria Stuarda (Donizetti) était l’un des événements de la saison du TCE et des Grandes Voix, notamment du fait de la venue de Joyce DiDonato dans le rôle-titre, dont elle est l’une des interprètes actuelles les plus poignantes, grâce au velours de sa voix de mezzo-soprano (le rôle est écrit pour une soprano) et à sa longueur de souffle qui lui permet d’assumer les phrasés de la partition sans artifice. Las, pour raison de santé, la cantatrice a dû renoncer, remplacée par Patrizia Ciofi qui connait bien le rôle et y avait notamment triomphé il y a deux ans en Avignon. Dans cet affrontement de deux reines, rivales pour le trône et pour le cœur du Comte Leicester, Ciofi fait face à Carmen Giannattasio, dans un combat vocal et théâtral sans merci.
C’est à une cheffe d’orchestre, Speranza Scappucci, que revient le rôle d’arbitre de cette opposition, à la tête de l’Orchestre de chambre de Paris. C’est aussi une femme, Nathalie Gantiez, qui assène le lugubre roulement de timbale qui introduit l’ouverture. D’un geste ample et sec, Scappucci conduit ses musiciens avec précision, construisant un drame sombre et haletant, sachant ménager des passages plus langoureux ou mélancoliques. Attaquant certains passages au galop, elle requiert de l’ensemble des artistes qu’elle dirige une virtuosité que tous assument sans faiblesse (notamment la flûte à bec qui offre des lignes virtuoses). L’Ensemble Lyrique Champagne-Ardenne (préparé par Sandrine Lebec, encore une femme) offre de belles couleurs de timbres, mais manque cruellement d’homogénéité, que ce soit dans les nuances, l’équilibre des pupitres ou la rigueur rythmique, notamment dans leurs premières interventions de chaque acte.
Patrizia Ciofi délivre un phrasé doux et délicat, nuancé, marqué de rubati (prises de libertés rythmiques) bien suivis par la cheffe. Son timbre cristallin vibre avec rondeur et intensité. Elle vocalise dans un léger déhanché, mettant une intention théâtrale dans chaque note (ses insultes à Elisabeth sont émises d’une voix rocailleuse et tranchante). Elle compense un souffle un peu court par son sens de la nuance (en allégeant certains phrasés, qui requièrent alors moins de souffle). Elle obtient une première ovation après son premier air, qui se confirme lors des saluts finaux, au point de faire poindre des larmes aux coins de ses yeux.
En Elisabeth, Carmen Giannattasio se montre d’abord dure vocalement : sa première intervention sollicite intensément ses aigus, qu’elle projette alors comme des coups de poing. Après quelques minutes, sa voix s’adoucit, trouvant de la rondeur dans un medium plus confortable, où les vocalises gagnent en souplesse par les modulations. Elle sait aussi leur apporter de l’acidité pour exprimer la violence de la haine qui secoue son personnage, offrant des expressions faciales éloquentes. Elle colore sa voix lorsque son personnage doute, y mélangeant des pigments boisés dans un phrasé plus suave.
Remplaçant René Barbera initialement prévu, Enea Scala dévoile un timbre au métal chaleureux, projeté depuis le haut de gorge. Très italien dans son style, il dispose d’aigus aisés (attaqués par en-dessous par un porté de voix agile) et d’un vibrato serré et rapide, lui permettant d’émettre un beau, long et vaillant « Tremate! » aigu dans le final de l’œuvre.
Nicola Ulivieri offre à Talbot ses belles harmoniques et son phrasé chantant et noble, tout juste altéré par des aigus difficiles. Sa projection puissante finit de conférer à son personnage la noblesse requise. Marc Barrard est un Cecil au timbre lumineux et agréable, mais ne rendant pas totalement la noirceur du personnage, d’autant que sa projection manque de volume. Enfin, Jennifer Michel campe une Anna à la voix large et à la jolie ligne de chant, au timbre riche et au vibrato léger et capiteux.
Les saluts offrent de beaux exemples de solidarité féminine : après que Carmen Giannattasio a enlacé Patrizia Ciofi, émue aux larmes par l’accueil du public, elles offrent toutes deux leur traditionnel bouquet de fleurs à Speranza Scappucci, qui avait été oubliée.
Voici l'œuvre en intégralité, avec Patrizia Ciofi :