Avec son chien Barkouf (Offenbach), Strasbourg a du flair
À la veille d’une manifestation décisive des « gilets jaunes », l’Opéra national du Rhin programme la première de la redécouverte de Barkouf d’Offenbach : avant de mettre un légume au pouvoir dans Le Roi Carotte, le facétieux compositeur y place un chien, suite à une révolte populaire, où il est question d’émeutes, de casse et d’incendies. Un thème qui résonne bien entendu fortement avec l’actualité. Comme à son habitude, Offenbach manie l’absurde, l’ironie et le jeu de mot (« astre des astres » se transforme en « astre désastre »), mais aussi l’humour musical. C’est ainsi que, pour montrer l’état de choc d’un personnage, il lui fait répéter à vive allure les mêmes mots en boucle (changeant parfois l’accentuation de place pour en déformer le sens), ce qui met d’ailleurs le souffle des chanteurs à contribution.
Bien sûr, lorsqu’elle a conçu sa mise en scène, Mariame Clément ne pouvait imaginer la révolte à venir : elle n’avait déjà pas accès à la partition ni même au livret définitif, le travail de recherche n’étant alors pas achevé ! Elle place l’intrigue dans un univers dictatorial indéfini mais contemporain, au décor lisse et sobre à l’acte I. Les deux actes suivants se déroulent dans une gigantesque salle d’archive, évoquant à la fois la bureaucratie et le fichage des individus. Le rôle-titre canin restant invisible dans l’intrigue, une niche trône au milieu de la scène afin de l’intégrer malgré tout à l’action. Ce dernier symbolise la prise de pouvoir par le peuple (Maïma, fille du peuple, étant seule capable d’interpréter les désirs du chien, elle en profite pour libérer les condamnés politiques et réduire les impôts), qui aboutit finalement à la reprise en main du pouvoir par Saëb, homme candide et sincère, auquel Mariame Clément prédit malgré tout, par le costume qu’elle lui confère dans la scène finale, un avenir d’autocrate à la Louis-Napoléon. Si aucun gilet jaune n’a été ajouté (les références du texte originel étant évidentes, il n’était nul besoin d’en ajouter), les comploteurs sont dotés de masques représentant des dirigeants politiques français de tout bord : l’effet comique fonctionne alors indéniablement.
La jeune Pauline Texier est Maïma, vendeuse de fleurs. Paradoxalement, sa comparse Balkis, l’Irlandaise Fleur Barron, vend des fruits. La première dispose d’une voix fine et cristalline, très agile dans les vocalises et capable de beaux suraigus, vifs et pointus, avec un vibrato très intense. Il lui manque toutefois le volume pour franchir un palier. La seconde dispose d’une voix large et somptueuse, aux reflets sombres et au paisible vibrato. Les phrasés sont souples mais la justesse fait parfois défaut. Très dynamique, elle tend à surjouer les situations, peu aidée par un accent charmant mais appuyé.
Xaïloum, son amant qui manifeste car il « aime la casse », est chanté par Stefan Sbonnik. Sa voix structurée dispose d’un timbre fruité et d’une diction véloce (mais pas toujours compréhensible), qui s’épanouit lorsque le volume est poussé, mais trouve ses limites dans l’aigu. Le futur Gouverneur Saëb est campé par Patrick Kabongo, au timbre riche et sirupeux, et aux aigus affirmés, aussi bien en voix de poitrine qu’en voix mixte.
Dans le rôle du cynique Bababeck, Rodolphe Briand excelle par son théâtre et son aisance comique. Dans les parties chantées, son ténor de caractère est projeté avec franchise et un vibrato assez doux. Son complice Kaliboul est servi par l’aisance théâtrale, le pouvoir comique et la diction de Loic Félix dont la voix bien projetée est légèrement corsée. Le Grand-Mogol amateur d’incendies, Nicolas Cavallier (méconnaissable avec son grimage de dictateur) livre des interventions drôlatiques. Sa voix tire dans les graves du rôle, mais s’épanouit dans le medium, même si l’ensemble manque d’ampleur. Enfin, Périzade, décrite comme laide et colérique par le livret, prend les traits fins et le sourire gracile (surmonté d’une moustache) d’Anaïs Yvoz. Son timbre sucré largement projeté tranche également avec la description du personnage, qui s’en trouve attachant.
Jacques Lacombe dirige l’Orchestre Symphonique de Mulhouse et son premier Offenbach léger. Si les passages bucoliques ou mélancoliques trouvent des sonorités suaves et charmantes, les passages plus légers sonnent mats et manquent d’éclat. Très convainquant théâtralement et homogène dans ses timbres, le Chœur de l’Opéra National du Rhin se révolte contre le tempo imposé par le chef, la liberté rythmique provoquant alors d’importants dommages musicaux.
La musique d’Offenbach n’a jamais été aussi utile que dans les temps troublés : décidément, cette production tombe à point.