Un de la Canebière chante même les sardines à l’Odéon de Marseille !
Un de la Canebière de Vincent Scotto (1874-1952) est
assurément l'ambassadrice du genre parmi les opérettes
marseillaises. Composée sur un livret d’Henri Alibert et de René Sarvil, l’opérette en deux actes et dix tableaux n’est pourtant
pas créée en la cité Phocéenne mais en la ville des Canuts, au
Théâtre des Célestins de Lyon, le 1er octobre 1935.
Cela n’empêche nullement de nombreux marseillais, et même tous
les passionnés du genre, d'avoir en tête ses airs enthousiasmants.
L’œuvre régulièrement programmée à l’Odéon est aujourd’hui présentée dans la version scénique de Jacques Duparc : simple et souvent burlesque, elle crée un véritable moment de plaisir partagé que s’approprie aisément le public. Par la simplicité de son traitement, le sujet, bien que rempli d’amusants quiproquos, est très compréhensible : les trois inséparables « pescadous » (pêcheurs) Toinet, Girelle et Pénible inventent toute une histoire pour créer leur rêve d’usine de conserve et ainsi séduire leurs belles Francine, Malou et Margot. Celles-ci, leur montrant qu'elles ne sont pas moins malines, leur jouent un petit tour avec la complicité du riche Bienaimé des Accoules, aux dépens du millionnaire russe Garopouloff et de la vieille Tante Clarisse. Les décors permettent de situer l’action avec seulement quelques accessoires, comme des cagettes pour la Corniche du Vallon des Auffes, des tables aux nappes blanches et bleues pour le restaurant « La Réserve » ou un petit bureau aux multiples téléphones devant une conserve de sardine géante pour l’usine « Les sardines de la Tante Clarisse ». Les trois heures de représentation passent aisément dans le rythme haletant de la mise en scène, malgré les ajouts quasi-improvisés des comédiens (avec quelques moments très brouillons et des échanges qui tournent en rond). Les moments burlesques ne manquent toutefois pas et le public rit de bon cœur, avec notamment de nombreuses petites allusions à des chansons françaises –discrètement accompagnées, au piano essentiellement– ou à des vedettes de cinéma.
Les dix musiciens de l'Orchestre de l'Odéon, dirigés par Bruno Membrey, sont dans la fosse mais la salle entend également combien ils s'amusent, tout en restant très attentifs. Ils suivent le rythme et les intentions scéniques en apportant tout le dynamisme nécessaire aux joyeuses chansons -parfois même trop, l'accordéon notamment couvrant à certains moment la voix des chanteurs.
À plusieurs moments, des numéros instrumentaux ou chantés sont accompagnés par deux couples de danseurs (dans une chorégraphie signée Lætitia Antonin), qui prennent un véritable plaisir partagé et contagieux, surtout lors de la deuxième partie du spectacle : durant un changement de décor, quelques comédiens et danseurs vont jusqu’à inviter le public à se lever pour chanter « Ah qu’est-ce qu’on est serrés, au fond de cette boîte » de Patrick Sébastien. Folle ambiance assurée ! Le fidèle public de l’Odéon reconnaît évidemment de suite chaque allusion célèbre (« Les Pescadous », « Cane, Cane, Canebière ») et les entonne (certains à gorge déployée) en frappant allègrement des mains.
Sur scène, le trio de pêcheurs se structure autour du patron Toinet. Grégory Juppin tient ses numéros solistes en s'appuyant sur sa formation de comédien et de comédie-musicale : le texte est parfaitement prononcé et projeté, mais il aurait bénéficié d'un plus grand engagement vocal, à défaut d'un maintien plus homogène de la voix et d'aigus plus sûrs. Il est fréquemment en duo avec la fraîche Francine de Caroline Géa. D’abord danseuse, elle montre toutefois une agréable voix de soprano, ronde et vibrée, particulièrement appréciée dans son air tendre « Y’en a qu’un à Marseille », seul moment de repos lors de ce tourbillonnant spectacle.
Les numéros chantés ne sont néanmoins pas très nombreux, le spectacle étant surtout théâtral. Les autres personnages sont donc interprétés par des comédiens, qui parfois chantent en ensembles ou même chantonnent, et toujours avec le si délicieux accent chantant de Marseille, sans oublier ses expressions uniques issues de son jargon, aussi fleuri qu’attachant. Le plus mémorable d’entre les comédiens est sans aucun doute Florian Cléret qui campe un hilarant Pénible, benêt attachant qui va jusque se déguiser en son horrible Tante Clarisse. Les spectateurs retiendront également la maline et coquine Margot de Carole Clin, la charmante Malou de Priscilla Beyrand, la séduisante Marie de Julie Morgane et Simone Burles en pauvre Tante Clarisse de Barbentane. Côté masculin, Fabrice Todaro est un convaincant et amusant Girelle, Antoine Bonelli –applaudi comme toujours dès son apparition par les fidèles de l’Odéon– est évidemment un superbe Bienaimé des Accoules, Guy Bonfiglio incarne le riche, fou et russe Garopouloff et Jacques Duparc participe à la comédie en incarnant Charlot, mari cocu du Marie.
Comme il est d’usage à l’Odéon, les saluts se font en musique, le bis étant repris trois ou quatre fois avec le public debout qui chante et frappe des mains, car « Il n’en existe qu’une… Partout elle est populaire, notre Cane… Cane… Canebière ! »