La Création de Haydn à l’Arsenal de Metz : beauté divine !
Des montées de gammes aux poussés des archets, envolées lyriques, chœur qui se lève à l’unisson, battue fiévreuse vers le ciel, tout tend à rappeler l’élévation religieuse. De La Création des éléments à celle des animaux et de l’Homme jusqu’au paradis terrestre, Diego Fasolis emporte les suffrages du public messin par l’alternance d’une battue tonique à la Représentation du Chaos (“Die Vorstellung des Chaos”) au Grand œuvre achevé (“Vollendet ist das große Werk”) de la deuxième partie, qui voit le chef onduler à la mesure des Alleluia.
De sa battue, le chef-démiurge construit les sonorités. La montée des cordes qui assure la transition entre les deux récitatifs d’Uriel, “Und Gott sprach... in vollem Glanze steiget jetzt” (Et Dieu dit... Dans toute sa splendeur s’élance maintenant) est lumineuse. Les contrebasses et les cordes graves des violoncelles se déploient ensuite avec douceur et religiosité. Les cordes sont autant maîtrisées dans les staccati (piqués) fiévreux que dans la souplesse des archets. Le jeu de correspondances opère entre flûte et soprano, comme entre basson et basse.
Cette complémentarité ne pourrait être possible sans l’implication des chanteurs. La basse californienne Alex Rosen est un Raphaël aux aigus surprenants de tenue et de maîtrise. Les « r » roulent sur le récitatif « Und Gott machte das Firmament » (Et Dieu créa le firmament). Le timbre glisse avec souplesse vers les graves, les baleines du récitatif « Und Gott schuf große Walfische » (Et Dieu créa les grandes baleines) se déplacent, imposantes, par les graves. Lorsqu’en troisième partie, il quitte Raphaël pour devenir Adam, il communique avec chaleur la joie du premier homme dans son duo avec Hélène Carpentier « Holde Gattin, dir zur Seite » (Douce épouse, à tes côtés). Alex Rosen prend un immense plaisir à chanter, souriant et communicatif avec ses partenaires.
Tout aussi chaleureux dans un autre registre, le ténor marocain Abdellah Lasri est à l’image d’un des airs d’Uriel, tout en noblesse, « Mit Würd’ und Hoheit angetan » (Fait de noblesse et de dignité ). Comme la basse Alex Rosen assure ses aigus, le ténor surprend par la montée en puissance de graves infaillibles. Les aigus fendent également l’air, et quelle que soit le registre convoqué, tout s’exécute dans une diction imparable, une portée puissante et une chaleur communicative.
Voix féminine du trio, la jeune et prometteuse soprano Hélène Carpentier est Gabriel puis Ève en dernière partie. La lauréate du concours Voix Nouvelles 2018 (Premier Prix et Prix de la meilleure interprétation du répertoire français) déploie une pureté de timbre renforcée par le chœur pour son solo « Mit Staunen sieht das Wunderwerk » (Avec étonnement, la joyeuse légion des habitants du Ciel). Elle s’élève au-dessus de l’orchestre et du chœur avec grâce, tient ses aigus sans le moindre accroc. La diction, impeccable, termine de magnifier un timbre presque rieur sur l’air de Gabriel « Auf starkem Fittiche » (De ses ailes puissantes). Les trilles voltigent, les montées dans les aigus comme dans les nuances sont naturelles. Elle imprime, comme Alex Rosen, une chaleur au timbre d’Ève et tous deux construisent des duos finaux ciselés par le contraste de leurs voix.
Le rendu précis de chaque tessiture est couronné par les voix à l’unisson du trio vocal, soutenu par le Chœur de la Radio flamande à l’implantation immédiate, des basses aux sopranos. Le texte est constamment clair, la portée puissante, les timbres précis et homogènes jusqu’à l’Amen final.
Après l’ovation qui suit chaque pause, la réception finale du public est triomphale et s’adresse à tous, chef, chœur, orchestre, solistes mais aussi compositeur, puisque Diego Fasolis se saisit de la partition et l’élève avec respect vers le public. Cet oratorio est aussi l’occasion d’annoncer le départ en retraite de deux musiciens de l’Orchestre national de Metz, la violoniste Anne Pietka-Duval et le trompettiste Pierre Wenisch, salués et applaudis chaleureusement par le public.