L’Atelier Korngold, duo de barytons à Toulouse
Par
malheur, et en
raison d'un
accident grave, le Quatuor
Aron prévu
pour participer au concert « Atelier Korngold : Musiques
du temps de La Ville morte » a
dû
annuler sa prestation. Remboursant
les billets, le
Capitole maintient néanmoins
la
partie vocale du programme, légèrement remaniée dans l’intimité.
Le
Directeur
Général des
lieux,
Christophe Ghristi, offre
en personne une présentation
fascinante du programme, des artistes, et
du
compositeur de La Ville morte.
Matthias Winckhler, baryton-basse qui
tient
le
rôle de Frank dans La Ville morte,
et Thomas Dolié,
baryton qui joue le rôle de Fritz, alternent Lieder et mélodies
contrastés,
accompagnés
par
Marcelo
Amaral.
Notre compte-rendu de La Ville morte de Korngold à Toulouse
Matthias Winckhler prête une grande attention à la beauté colorée de Gustav Mahler. Extérieurement très calme, voire impassible, il chante d’une voix fondante, chaude en legato, veillant à ne pas troubler la ligne vocale d’une emphase trop intense sur les consonnes, mais laissant la musique parler d’elle-même. Il n’a pas peur d’explorer une douce voix de tête dans les aigus, ou des sons très couverts. Parfois (mais rarement), il erre du côté d’un son trop diffus et d’une expressivité trop estompée, mais il s’engage davantage à mesure que progresse le programme : sa voix prend son essor en s'élevant et les dernières chansons de Korngold sollicitent ses forte appuyés, dévoilant sa voix lyrique, plus focalisée, et d’une belle teneur vigoureuse.
Thomas Dolié, plus spécialisé en musique française, présente d'abord Le Promenoir des deux amants de Debussy (cycle de trois mélodies sur un poème de Tristan l’Hermite), dans un style à la fois plus parlé et plus appuyé. Dolié chanta en avril dernier un Golaud remarqué à Brême (bien que, paradoxalement, il révèle ici le clair timbre d’un Pelléas) et il vit sans réserve chaque parole du poème, s’impliquant de tout son corps. Amplifiant la peinture musicale de ses gestes et son visage, il fait voir ce qu’il vit, en prêtant une attention minutieuse aux moindres nuances de la langue, caressant chaque consonne avec amour. Sa voix placée dans les résonateurs du masque projette un français limpide.
Winckhler revient pour des Lieder de Schubert, s'animant avec Der Musensohn (Le fils des Muses) allegro. Honneur ensuite à Korngold avec Cinq Lieder opus 38 par Thomas Dolié. Ces chansons composées à Hollywood entre 1940 et 1947 viennent d’un univers tout autre que la Vienne des années 20. Elles sont modestes et simples, aux accompagnements épurés, presque nus, et la ligne vocale n’a plus tout à fait le lyrisme fondant de la première période. Le soupçon de la mélodie viennoise, voire de l’opérette, demeure mais avec un parfum anglophile. Les accompagnements se réduisent quasiment à quelques accords, comme s’ils étaient imaginés pour la guitare. Les deux dernières mélodies (Old English Song, et My Mistress’ eyes), sont chantées en anglais, une nouvelle occasion pour Thomas Dolié de s'exprimer avec beaucoup d’émotion et d’expansion, au point que la voix se trouble d’un vibrato rapide ou secoué. Korngold toujours avec Matthias Winckhler et trois extraits des 6 Einfache Lieder (chansons simples) toutes composées en 1911 (Korngold a quatorze ans). La maturité et la calme maîtrise du jeune compositeur de ces Lieder expliquent comment Korngold enfant a pu stupéfier Mahler, Strauss, et Schoenberg. Winckhler chante ces magnifiques mélodies avec sa voix fondante, se laissant même entraîner dans l’exaltation de la plus suave chanson entre toutes, « Sommer » (été), dont la tendresse monte en passion déchirante.
Durant tout le programme, le pianiste brésilien Marcelo Amaral s’applique à soutenir sans couvrir, à garder un retrait modeste. Très intériorisé, il joue avec une grande finesse et beaucoup de retenue, afin que le chanteur prenne les devants et que la musique surgisse de lui. L’Atelier Korngold, même écourté du quatuor programmé reste une soirée pleine d’inspiration. Il attise le désir de découvrir d'autres Lieder de Korngold, particulièrement les œuvres de la période contemporaine à Die tote Stadt (dont, par exemple les étranges et parfumés Drei Gesänge de 1924).