Couperin, noble et distingué dans le Salon d’Hercule à Versailles
L’ensemble Capriccio Stravagante
montre sa maîtrise du répertoire et les qualités individuelles de ses musiciens
qui, dès le prologue, font preuve d’une cohésion d’autant plus étonnante que
Skip Sempé, occupé au clavecin, ne dirige que sporadiquement avec la tête – le
plus souvent pas du tout, même lorsqu’il ne joue pas. Par la connexion,
l’attention et l’écoute au sein de la formation, l’ensemble paraît tantôt suivre
le premier violon, tantôt les clavecins. Leur virtuosité est certaine, le son
de l’ensemble est ample bien que pouvant parfois manquer d’une pointe de
nuance. Skip Sempé et le second claveciniste Emmanuel Frankenberg accompagnent
précautionneusement les chanteurs sur les airs sérieux et les airs à boire.
La soprano Perrine Devillers s’impose dès le début du concert dans son duo avec Virgile Ancely, Les Solitaires : Dans l’Isle de Cythère, en déployant une voix au timbre de velours totalement dépourvue de vibrato avec des médiums chauds, des graves profonds et stables. Elle fait preuve d’une grande expressivité, le visage rayonnant d’un sourire à toute épreuve, et d’une belle complicité avec Virgile Ancely. Elle revient plus loin, seule, pour Zéphire, modère en ces lieux et confirme sa maîtrise vocale du répertoire ancien. Ses sons filés sont précis, elle révèle des aigus amples, puissants, enveloppants qui gardent la chaleur et les qualités de ses médiums, et bénéficie d’une articulation claire et précise. La voix est souple et permet des ornementations rapides, élégantes et pleines d’humilité – ses trilles rappellent le chant du rossignol.
La basse Virgile Ancely partage plusieurs duos avec les soprani, envers qui il a une attitude vocale et corporelle de déférence, s’efforçant d’habiller, d’envelopper, de magnifier leur voix et la mélodie (Les Solitaires : Dans l’Isle de Cythère avec Perrine Devillers, Les Pèlerines : Au temple de L’Amour, Pèlerines de Cythère avec Rachel Redmond). Dans La Pastorelle : Il faut aimer dès qu’on sçait plaire avec Rachel Redmond, il déploie des graves sonores, posés et stables, et fait un effort de jeu appréciable tandis que dans l’air à boire Épitaphe d’un Paresseux avec Adèle Carlier, les quelques notes plus hautes dans sa tessiture semblent plus délicates à émettre et à soutenir.
Rachel Redmond est quant à elle une soprano très investie qui donne la priorité au texte et à son interprétation, parfois au détriment de la technique et de la beauté du son. Poignante, elle est également extrêmement tendue vocalement avec un souffle conséquent audible sur sa voix dans les médiums et les graves (sans doute en partie du fait d’une fatigue passagère) sur l’air sérieux Qu’on ne me dise plus que c’est la seule absence. Toujours présent, son vibrato est très tonique (d’une très haute fréquence), avec une grande amplitude, ce qui l’apparente souvent à des trilles ininterrompus. Rachel Redmond passe souvent en force et en tension si bien que pendant le canon à trois La femme entre deux draps, un grésillement de ses cordes vocales se fait entendre. Elle parvient heureusement à retrouver un calme relatif et aborde la Pastorelle avec plus de détente, une gestion vocale plus saine et moins forcée puisque moins concentrée sur sa performance d’actrice. Sa voix se réveille ainsi petit à petit au cours du programme, en particulier dans les aigus qui sont progressivement plus souples et raisonnants. Ainsi l’air tendre Lentement avec les deux autres soprani lui permet-il de se déployer pour trouver le public.
La soprano Adèle Carlier est investie dans tous les airs et, dans son duo avec Virgile, elle montre la maîtrise qu’elle a de sa voix comme des impératifs de ce répertoire. Aussi choisit-elle avec attention où mettre du vibrato, quand utiliser des sons droits et offre-t-elle quelques beaux messa di voce (conduite évolutive de voix). Toutefois, son interprétation des Doux liens de mon cœur met en avant le placement très à l’avant de sa voix qui entraîne une nasalité métallique dans les médiums et les graves (par ailleurs plus fragiles et faiblement audibles). Cette nasalité tend à être plus discrète dans les aigus.
Les applaudissements et les exclamations de joie du public résonnent longtemps après la Sarabande : Grave et tendre qui conclut le concert, invitant musiciens et chanteurs à revenir plusieurs fois sur scène pour recueillir la récompense du travail conduit.