Cendrillon de Massenet à Nantes, une féerie musicale plus flammes que cendres
Bien que féerique, Cendrillon n’a pas tout à fait connu le sort glorieux de Manon, Werther, ou Thaïs. La fraîcheur dans la mise en scène, les décors, costumes et lumières d’Ezio Toffolutti au Théâtre Graslin démultiplie donc le plaisir de la (re)découverte. La toile de scène est toute blanche, sauf une ligne tremblante qui la traverse, devenant (selon la lumière douce et bleue, ou cruellement blanche), l’horizon d’un pays de rêve vallonné sous un ciel ouvert, ou bien un mur banal traversé d’une vilaine fissure. Comme si, entre illusion et désillusion, entre rêve et désespoir, il n’était question que d’éclairage, et que pour retrouver l’enchantement, il suffisait d’une ligne et d’une page blanche.
Parmi les inventions les plus éloquentes, la marraine fée émerge pour sa première scène, poussée dans une grande baignoire dorée entourée de bulles géantes, se lavant et se frottant sous les aisselles avec une brosse à dos, qui lui servira par la suite de baguette magique et ne la quittera plus. Parmi les esprits du cortège, de gigantesques globes oculaires sur pattes, tout frais sortis d’une peinture de Jérôme Bosch, et de vagues créatures rampant dans le noir.
La marâtre et les vilaines belles-sœurs, comme les princesses de la cour, sont habillées de paniers de divers styles sans étoffes, comme des cages d’oiseaux, révélant d’absurdes sous-vêtements : la chorégraphie d’Ambra Senatore leur donne l’élégance des canards s’accroupissant dans l’eau, secouant plumes et queues. Le ton est ainsi donné, ludique et bon enfant avec toutefois des résonances psychologiques et philosophiques -pour qui voudrait les entendre.
François Le Roux, dans le rôle du père Pandolphe, est le premier à apparaître et servira d’interprète entre le public et la scène, s’adressant aux enfants, faisant des clowneries (il tombe dans les caisses) pour mettre l’ambiance. Le Roux, connu pour ses fines interprétations de mélodiste, se prête à cet exercice avec beaucoup de bonhomie. Un vieux père aimant et tendre, très émouvant dans ses scènes avec Rinat Shaham (Cendrillon).
Vient alors Rosalind Plowright en Madame de la Haltière, la belle-mère de Cendrillon. Quatre décennies passées sur scène ont forgé son élégance gracieuse, sa présence scénique imposante, mais elle se trouve aujourd’hui (comme elle le dit elle-même avec beaucoup d’humour) spécialiste des « demented harridans and old crones » (harpies démentes et vieilles sorcières). Elle se rend terrifiante par une voix acidulée de très forte pression, souvent dans un volume à faire trembler les murs.
Dans les rôles des méchantes belles-sœurs, la soprano colorature Marie-Benédicte Souquet joue Noémie et la mezzo lyrique au timbre voluptueux, Agathe de Courcy, incarne Dorothée. Chantant presque toujours de concert et, décolletées à révéler une peau blanche et crémeuse, elles sont chacune coiffée de longs cheveux blonds. Méchantes ou non, leurs voix sont délicieuses ensemble.
Dans le rôle de Cendrillon ou Lucette, Rinat Shaham, aujourd’hui lancée dans une carrière internationale, est une mezzo très riche et mûre de voix, pleine d’ardeur, et dramatiquement convaincante. Si Cendrillon est soprano dans la partition, Rinat Shaham, qui a également interprété ce rôle au Théâtre de la Monnaie en 2011, suit les traces des mezzos Frederica von Stade, Joyce DiDonato et bien d’autres. En effet, une hésitation s’était fait sentir dès la première en 1899 : Massenet avait pressenti Emma Calvé pour Cendrillon, une célèbre Carmen, soprano plutôt dramatique mais avec des graves de contralto. Finalement le rôle fut donné à Julia Guiraudon, la première Mimì (La Bohème) française (une soprano plus lyrique). Dans l’interprétation de Rinat Shaham, une pointe supplémentaire de douceur et de légèreté serait donc bienvenue. En revanche, sa riche couleur posée, honnête et profonde, souligne la noblesse de cœur de Cendrillon en contraste avec les volutes des vilaines sœurs hystériques. Sa grande scène « Enfin je suis ici » est très énergique et angoissée, avec des notes aiguës resplendissantes.
La Fée marraine, soprano Marianne Lambert, est radieuse (littéralement) : toute peinte en or et charmante, avec exactement le sourire bienveillant du caractère. Elle grimpe les hauteurs vertigineuses du rôle sans peur ni reproches et répand la magie de ses passages piqués comme des rires de fée. Certains suraigus sont toutefois serrés et manquent d’éclat.
En mezzo travestie, la nantaise Julie Robard-Gendre (qui a récemment chanté le rôle d’Orphée à Avignon, et de Ghita dans Le Nain à Lille) est un véritable Prince Charmant, onirique et sincère mais qui fournit également la gravité au drame, (nonobstant sa scène comique cachée sous la couette, en prince mélancolique isolé sur un piédestal en marbre). Sa voix peut passer d’un timbre sombre vers les couleurs de l’exaltation, les passages aigus sont dramatiques et excitants, restant bien intégrés à tout l’ambitus, son phrasé est particulièrement liquide et musical.
Parmi les rôles mineurs, le baryton Olivier Naveau, enveloppé d’or, campe un roi sympathique de conte de fées. Le Doyen de la Faculté, Vincent Ordonneau, place un fort joli ténor clair au timbre ironique.
La direction musicale de Claude Schnitzler est d’une grande finesse, économie de moyens, avec des gestes précis et clairs. Il semble très sensible aux artistes lyriques, qui n’ont jamais à peiner pour se faire entendre. La fosse joue avec beaucoup d’élégance, et les solos (flûtes, violon et violoncelles, hautbois et clarinette) ajoutent la dernière touche de magie à un spectacle princier et charmant.