Les Pêcheurs de perles à Nice, un beau filet de voix
La mise en scène est portée par Bernard Pisani, assisté de Sergio Simon, qui y ajoute son travail de chorégraphe. Elle offre une proposition visuelle restant dans les limites du cadre de l’œuvre : orientalisme traditionnel et écriture innovante. Elle n’en dénature rien, mais y ajoute une dimension forte, celle de l’homme en proie aux éléments : l’eau et le feu, plus particulièrement. La ligne claire du décor minimaliste d’Alexandre Heyraud, repose sur des cadres et surfaces naïvement découpées. Elle confère à la scène une lisibilité reposante pour le regard et qui laisse le chant/champ libres aux oreilles, aux chanteurs et aux acteurs. Les lumières chromatiques de Nathalie Perrier, créent une luminescence permanente et animent, parfois subliment, ces décors de papier-mâché. Une immense perle de lune, comme « larme au milieu de l’océan » (c’est ainsi que l’on nomme l’île de Ceylan), se transforme en autel pour accueillir un Buddha sri-lankais (et non un Brahma). Les costumes de Jérôme Bourdin semblent être de lieu et d’époque : sari pour l’une, sarong pour l’homme. Leurs pigments, diversement safranés, s’opposent systématiquement au bleu du ciel et de la mer. Le temple est bien d’or et d’azur. Sergio Simón y ajoute son travail de chorégraphe. Les cinq danseurs offrent à la divinité et au peuple leurs corps silencieux et mouvants. Comme nageant dans l’air, ils sont en totale continuité avec le plateau et le propos scénique. Un travail d’ethnographe produit un tableau de fond saisissant au duo de l’acte I entre Zurga et Nadir et reconstitue la réalité des Pêcheurs de perles suspendus à des mâts.
Le quatuor vocal réunit des chanteurs qui ont tous le physique de leur rôle, un jeu d’acteur élégant et caractérisé, ainsi qu’un véritable souci de conférer à la langue française sa diction et son phrasé particulier. La prêtresse de Brahma, alias Leila, apparaît physiquement et vocalement en Gabrielle Philiponet. Avec la chanteuse, la femme amoureuse prend très promptement le dessus, amenant irrésistiblement Leïla à rompre ses vœux de chasteté. Son soprano léger est aérien, lumineux. Il donne à ses vocalises trillées l’impression de pouvoir décrocher la lune, mais moins d’y rechercher la divinité (Ô Dieu Brahma !). Son incarnation évolue tant dramatiquement que lyriquement de manière convaincante, entre candeur poétique (acte I) et rage sacrificielle (acte III). Elle interprète les différents moments du rôle avec une authentique simplicité, malgré le léger détimbré de son registre grave, et la rareté de ses piani, notamment dans son duo avec Nadir (Ton cœur n'a pas compris le mien), qui doit permettre d’exprimer leur attraction mutuelle.
Son Nadir est le ténor Julien Dran. Grand, mince, altier, il cherche à donner d’emblée toute la lumière vocale et la vivacité gestuelle qui convient au rôle. Difficile pourtant de caractériser ce jeune premier aux contours moralement insaisissables : aventurier, chasseur, imprudent, blasphémateur, parjure. Et pourtant, il sait ici se faire aimer, en chantant sa romance, véritable concentré de tendresse. La projection vient seconder avec ardeur la finesse de l’émission, la fluidité des changements de couleurs et de dynamiques, en intelligence avec le silence (Je crois entendre encore). La diction et le phrasé français reçoivent du chanteur le meilleur soin, qui investit de son et de sens chaque parcelle de mot et de phrase, aux doux accents.
L’accomplissement vocal et scénique de la soirée vient avec le Zurga du baryton Alexandre Duhamel. Le rôle n’est pas non plus facile à endosser, qui oscille entre fureur jalouse et grandeur d’âme, pouvoir et devoir. Le chanteur s’empare de la scène, et même du théâtre, sans ostentation prédatrice, par le seul fait de sa prestance et de son énergie. Sur l’ensemble de son étendue, la ligne est ferme mais toujours nuancée, sonore mais jamais dure. L’art racinien de la déclamation y atteint un sommet, dans la rage comme dans la douceur (Ô Nadir, tendre ami).
Le Grand prêtre Nourabad de la basse Philippe Khan achève, dans un rôle plus secondaire, ce quatuor. Il vaut davantage, et c’est un effet du livret, par sa présence scénique, que par sa partie soliste, souvent accompagnée par le chœur. En cela, le rôle n’est pas non plus facile à incarner, qui repose sur des interventions courtes, sur fond de postures menaçantes et de regards courroucés. Le chanteur s’en acquitte, en habit et coiffure magnifiques, avec un instrument nocturne et froid, que sa partie ne permet ni d’éclairer ni de réchauffer.
La direction musicale engagée de Giuseppe Finzi, à mains nues, se met dès les premières notes au service de la vivacité de l’intrigue et de la partition. Il s’agit, depuis la fosse, d’articuler grande et petite échelle, depuis le tableau peuplé jusqu’à la cavatine solitaire. L’Orchestre Philharmonique de Nice laisse ainsi modeler ses masses les plus colorées, sans tomber dans les écueils interprétatifs d’une partition trop hâtivement lue : le trop vigoureux des tutti ou le trop sirupeux des soli. Les cordes rompent délicatement le silence des levers de rideau, notamment sur la pantomime silencieuse des cinq danseurs à l’acte II. L’entrée des chœurs est tout aussi délicate, car il s’agit de montrer d’emblée une grande cohésion dynamique et rythmique, notamment pour le pupitre des femmes. Les choristes niçois préparés par Giulio Magnanini y parviennent, participant à la vivacité sonore et visuelle du plateau, avec naturel et franchise.
Le public, enthousiaste et joyeux, applaudit très longuement un plateau visiblement ravi d’être là, et surpris d’être salué par une pluie de roses descendues des loges les plus proches.