Mignonne, allons voir si les Notes d’automne... Les amours de Ronsard et Janequin
Mignonne, allons voir si la rose Qui ce matin avait déclose
Assurément l'une des poésies les plus célèbres de notre patrimoine, cette rose écrite par Pierre de Ronsard en 1545 a inspiré des générations d'amoureux et d'artistes, y compris de musiciens, depuis le XVIe siècle (le répertoire offert ce soir par l'Ensemble Clément Janequin) jusqu'à nos jours. Ce concert est axé sur la version de Guillaume Costeley (c.1530-1606) et elle s'inscrit dans un cadre narratif : les morceaux et les lectures se suivent pour narrer un petit drame baroque et galant en quatre épisodes : La Nature et Cupidon / L’Insouciance de la Jeunesse / L’attente et le doute / Le renoncement, l’adieu.
Chaque épisode alterne lectures et chants soutenus par le luth et l'orgue (qui offrent aussi des intermèdes instrumentaux). L'occasion d'admirer la prose de Ronsard mise en musique par Antoine de Bertrand (c.1535-c.1582), Guillaume Costeley (c.1530-1606), Pierre Certon (c.1512-1572), Guillaume Boni (c.1515-ap.94), parmi d'autres, avec des poèmes divers mais qui composent un propos, la rose de mignonne étant ensuite versée "près ce vin", devenant "Rossignol" avant que les perles de rosée ne soient "douce jouvence passée". L'occasion également d'un catalogue de figuralismes : la musique illustrant les objets et les émotions par des effets littéraux (le plus éloquent exemple étant celui des voix qui se suivent, comme le poète invite la Mignonne à le suivre).
La lumière du grand lustre de l'Hôtel de Ville semble d'emblée annoncer le mariage de La Nature et Cupidon. Le spectacle s'ouvre par la lecture d'un poème de Ronsard (La belle Vénus un jour), comme toutes les suivantes, elle se déflore sous la fascinante voix récitée du baryton Vincent Bouchot. Le français y a toute sa faconde du XVIe siècle, l'articulation en est intelligible et le sens du texte ainsi animé en devient intelligible (alors même que les vers n'ont pas été imprimés sur le feuillet remis au public).
Les qualités de récitations se retrouvent au chant polyphonique. Le quatuor vocal rend un nouvel hommage au compositeur éponyme (Clément Janequin, 1485-1558) par l'intelligibilité investie de ses lignes, chacune bien reconnaissable (notamment les entrées de phrases et de sujets musicaux), élancées par des timbres caractéristiques et notamment la signature de Dominique Visse (haute-contre, fondateur de l'Ensemble quadragénaire) très droit, placé et dense sur un spectre d'harmoniques fortement concentré sur la note fondamentale, mais aussi quelque peu revêche ou perçant.
La basse Renaud Delaigue soutient l'édifice vocal avec délicatesse et souplesse, visant à s'harmoniser avec le baryton par des aigus bien fixes. L'animation va croissante à mesure de l'élévation parmi les tessitures : au-dessus de la basse noble, le baryton conserve ses qualités investies de récitant émoustillant visiblement le public ("Je luy darde elle me darde Sa languette fretillarde"). Le ténor Hugues Primard fait la transition charnière entre ces deux voix et celle de Visse, il convoque le timbre de celui-ci tandis que son assise répond aux registres de ceux-là.
L'accompagnement instrumental très appliqué mais incertain dans les mouvements allant, permet d'assurer le maintien du diapason, notamment par la voix de basse qui n'hésite pas à venir frotter son chant sur les plus gros tubes de l'orgue.
À l'issue d'un poignant "Las ! sans espoir je languis" et d'une mélancolique dernière partie au ralentissement généralisé et bien mené, jusqu'au "fond de la tombe noire", l'Ensemble offre en bis une autre version de l'éternel poème : Mignonne, par Jehan Chardavoine (1538-1580 et donc contemporain de Ronsard à quelques années près).