Janequin à l’heure des guerres de religion, aux Invalides
« Papegots et Huguenots » (partisans du Pape et Protestants) s’opposent ici au rythme des psaumes, récitatifs et chansons plus enjouées, portées avec joie et efficacité par les voix de l’ensemble.
Fidèle à ses habitudes, le Musée de l’Armée propose une soirée musicale dans le cadre de son exposition « La Haine des clans. Guerres de religion, 1559-1610 », pour laquelle l’Ensemble Clément Janequin assure un programme sur commande. Dominique Visse, directeur de l’ensemble, a en effet réfléchi activement à la constitution de cette soirée, comme il nous en parle en long format et comme le signale à l'assistance Christine Dana-Helfrich, Conservateur en chef du patrimoine et chef de la Mission musique auprès du musée de l'Armée, qui présente ce programme en quatre parties harmonieuses : les deux premières interrogent des questions de forme quand les deux dernières se concentrent davantage sur le conflit lui-même. Ainsi, la première partie, « Les Psaumes », est consacrée aux textes religieux de cette période, la deuxième, « La chanson pour protester et la chanson spirituelle », reprend différents types de chansons (protestation, de noël, etc.), la troisième, « La Controverse », montre les différents points de vue des belligérants, avec l’opposition des papegots et huguenots en premier lieu, et la quatrième, « Les Guerres de Religion », reprend des chansons plus narratives, montrant les évènements de la guerre (comme la Saint-Barthélemy) et l’après. Ces différentes séquences sont alors ponctuées par des intermèdes musicaux, au luth par Éric Bellocq, ou à l’orgue positif par Yoann Moulin, qui concluent comme introduisent avec poésie les pièces à venir et permettent aux deux instrumentistes de montrer plus avant des qualités musicales qui ne se résument pas seulement à leur capacité d’accompagnement. Éric Bellocq fait ainsi un joli travail d’interprétation, quand Yoann Moulin accentue les côtés plus virtuoses de ses pièces, en s’impliquant moins émotionnellement.
À noter aussi les textes parlés, l’un par Dominique Visse (haute-contre), l’autre par Renaud Delaigue (basse), qui ponctue ce programme majoritairement chanté. Renaud Delaigue prend ici un plaisir visible à s’engager dans cette lecture, et l’auditeur se prête à sourire dans ce retour aux fiers hérauts du Moyen Âge et à la tradition troubadour de ce « Tremblez huguenots ».
L’ensemble vocal ici réuni imprime des personnalités musicales franches et assumées. La distribution réfléchie des pièces permet aussi de mettre chacun en valeur, tout au long de la soirée. Corinne Bahuaud, seule voix féminine du concert, est une alto à la voix chaude et ample vocalement. Sa prise de voix par le dessus donne aussi beaucoup de tenue à chacune de ses interventions, assurées et dynamiques bien que tout en rondeur. Elle se mêle aussi avec bonheur à la voix de haute-contre de Dominique Visse, pour des moments de grâce. Au milieu de toutes les voix, et d’autant plus au début du concert, cette voix de haute-contre passe cependant assez peu, et peine à se distinguer. Seule, en duo ou en unique voix supérieure, elle découvre pourtant peu à peu tous ses charmes si particuliers. Dominique Visse maîtrise en effet les difficultés des suraigus, en mêlant douceur et puissance grâce à une franche voix de tête. L’aspect caressant de son timbre rend aussi les paroles de guerre beaucoup plus tendres, éléments importants dans ce puissant ensemble vocal. Les deux ténors se montrent ici dans deux styles totalement différents. François-Olivier Jean est très dynamique, avec des attaques sonores et marquées, et une grande attention à la diction. Son timbre nasillard le fait aussi ressortir vocalement dans l’ensemble. À l’inverse, Hugues Primard est beaucoup plus discret, avec une voix douce et naturelle qui met en valeur les solos parlés mais ne lui permet pas de ressortir dans les moments de groupe plus puissants. Son timbre soufflé est en effet parfois trop discret face aux autres voix, et se montre dans les interventions plus isolées. Renaud Delaigue assure alors les résonances graves de l’ensemble vocal. Basse flegmatique mais efficace, il joue ici davantage sur des sonorités de tête, avec puissance mais aussi un certain flottement rythmique, qui le font apparaître comme un chanteur romantique face à l’exactitude baroque de l’ensemble. Le répertoire ne met pas en valeur toutes ses qualités, mais distingue cependant ses résonances graves, avec un joli vibrato.
Sous l’œil du Général Henry de Medlege, Directeur du Musée de l’Armée, le public restreint mais choisi de la Salle Turenne applaudit avec enthousiasme ce programme pointu, conclu avec dynamisme par un fameux « Ma bouche rit et mon cœur pleure » de Josquin Desprez en bis, un peu plus loin de la guerre, et un peu plus près de la poésie.