Une Flûte Enchantée animée et inventive en direct du Met
À la fois épurée et foisonnante, la mise en scène de cette Flûte utilise tous les registres et tout l'espace de la scène, de la fosse et même de la salle, comme pour y immerger entièrement ses spectateurs. Le jeu du direct est ici pleinement exploité, les décors projetés en fond de scène étant dessinés à la craie ou animés en ombres chinoises par Blake Habermann au fur et à mesure de l'histoire, l'artiste placé et son travail filmé à la vue du public, côté jardin. À l'opposé, c'est avec autant de virtuosité que Ruth Sullivan anime et accompagne le récit par les bruits et les moyens les plus divers en véritable accessoiriste du son, des oiseaux de Papageno (illustrés par un habile secouage de gants de jardinier) aux précipitations météorologiques (effet d'orage obtenu en secouant une plaque de métal, que le public agrémente à quelques reprises d'une pluie d'applaudissements à la fin des arias) et ésotériques (les passages initiatiques du feu crépitant et de l'eau ondulante sont audibles).
Au centre du plateau, rien qu'une plateforme aérienne, qui s'incline pour former tantôt un plateau stable, tantôt instable, mettant en quiétude ou en péril les personnages selon les situations. La place est souvent laissée au seul mur de fond qui accueille des projections vidéos variées, y mêlant parfois le dessin, ce qui crée un mariage intéressant entre technologie bien rôdée et spontanéité du coup de crayon de l'artiste. Les solistes musicaux Seth Morris à la flûte et Bryan Wagorn au glockenspiel sont extraits de la fosse par les protagonistes eux-mêmes, les invitant à les aider dans leur quête. Il ressort de cette production une volonté de partage et d'émerveillement, voire d'amusement dans des moments comiques justement dosés. Seule ombre au tableau, le décor (de Michael Levine) étant fixe et l'histoire en perpétuel mouvement, une impression de statisme émerge de l'ensemble et la sensation de voir les personnages toujours au même endroit s'installe et persiste.
À la tête de l’Orchestre du Met, Nathalie Stutzmann (qui dirige en parallèle le Don Giovanni du même Mozart dans cette même salle où elle fait ses débuts) offre une prestation pleine de conviction, trouvant une juste balance sonore entre la scène et la fosse, exceptionnellement surélevée (comme elle l’était au temps du compositeur) pour servir la mise en scène. Les nuances sont nombreuses, souvent justes, parfois manquant un peu d’allant et de légèreté. Les rares tutti avec chœur sont quant à eux très bien équilibrés et impactants.
La distribution vocale ne déçoit pas, bien que très sollicitée dramatiquement par la mise en scène. Le trio des enfants (Deven Agge, Julian Knopf, Luka Zylik) grimés tous trois en vieillards maladifs s'acquittent avec justesse de leur tâche de guider Tamino et Pamina à travers les épreuves. Ainsi, l'angélisme de leurs voix prend-il dans cette version un accent plus morbide mais une vraie identité se dégage de leurs interventions.
Mutines et séduisantes quand elles sauvent Tamino, les trois Dames de la Nuit (Alexandria Shiner, Olivia Vote et Tamara Mumford) n'en deviennent pas moins agressives quand il le faut. Trouvant une belle stabilité dans le grave, le trio est convaincant et joueur et chacune assure une belle projection dans sa tessiture respective.
Ashley Emerson profite de sa seule et courte intervention pour déployer toute sa fraicheur et un timbre mûr en Papagena à laquelle elle réussit à donner une réelle personnalité en peu de temps.
Le Monostatos de Brenton Ryan est tout autant hâbleur qu'harceleur. De timbre et d'allure séduisants, le ténor déploie un naturel scénique dans le jeu comme dans la danse et s'avère être dans son apparente simplicité d’autant plus inquiétant.
En Sarastro, Stephen Milling dégage toute l'aura et le charisme d'un chef de secte, présidant son assemblée par la taille et la voix. Les graves sont bien présents et bien projetés, toutefois la ligne semble parfois un peu instable et la conduite du souffle n'offre pas toute la sérénité auquel le rôle habitue souvent, même si ce Sarastro s'avère moins paternaliste qu'à l'accoutumée.
À l’opposé du spectre vocal, Kathryn Lewek s'épanouit dans l'ombre en Reine de la Nuit. Grimée elle aussi en vieillarde, fauteuil roulant en supplément, la chanteuse prend sa colère à bras le corps et si les aigus sont moins aiguisés que le poignard qu'elle donne à Pamina ils n'en sont pas moins justes et percutants et sa colère se traduit de façon limpide et non-artificielle. La chanteuse s’investit dramatiquement dans ses deux interventions avec brio, y apportant profondeur et aigus piani justement dosés, ce qui lui vaut deux grandes et longues ovations.
Pour incarner la fille d'une telle mère, il faut une interprète solide et Erin Morley relève habilement le défi. Comme à son habitude, la soprano habite un personnage fouillé dramatiquement qui traverse plusieurs degrés d'émotion au fil du spectacle. La voix est fluide, le timbre lumineux et la technique sûre, quitte à parfois rendre les arias un peu propres, ce qui n'est pas le cas des parties parlées, plus incarnées.
Le Tamino de Lawrence Brownlee est un prince confiant, parfois au détriment de certaines nuances de doute ou d'égarement. Confiance qui se traduit par une voix pleine sur toute la tessiture et une projection également puissante, à laquelle il manque toutefois un peu de brillance dans les aigus. Le grave quant à lui est assumé et assoit un personnage ancré et bien présent.
Enfin, Thomas Oliemans porte la soirée sous les habits de Papageno, de la même manière qu'il porte un grand escabeau, de cour à jardin, pour s'y réfugier ou sauver Pamina. Le baryton, qui fait ses débuts au Met, déploie une personnalité scénique attachante et sincère. La voix est posée, rassurante et le timbre a une belle accroche dans l'aigu. Le personnage est travaillé et jamais bouffon et sa présence sur scène apporte une belle candeur à l’ensemble.
À l’entracte, le Met diffuse la bande-annonce des futurs spectacles retransmis pour la saison prochaine, qui fera la part belle à la création, avec pour commencer fin octobre Dead Man Walking de Jake Heggie avec la mezzo-soprano Joyce DiDonato.