Eric Blanc de la Naulte : « Que des nouvelles productions lyriques à Saint-Etienne en 2023/2024 »
Quelles conséquences la situation économique actuelle a-t-elle sur votre programmation de la saison prochaine ?
Depuis des années, on nous parle de crises, qui s’enchainent et ne semblent jamais devoir finir. Si je regarde la réalité de l’Opéra de Saint-Étienne, pour l’année budgétaire 2022, nous avons généré plus de recettes qu’en 2019, c’est-à-dire la dernière année précédant les crises du Covid, de l’Ukraine et de l’énergie. Nous en sommes assez fiers. Sur cette saison 2022/2023, nous n’avons eu à annuler qu’un seul spectacle, un ballet russe : la situation économique ne nous a donc pas obligés à réduire le nombre de levers de rideaux.
Concernant la saison 2023/2024, nous avons procédé à des ajustements à la marge, à des réductions de coût (nous avons resserré notre brochure pour la réduire de 30 pages par rapport à la saison dernière pour tenir compte de l’augmentation du coût du papier, par exemple), mais le nombre de levers de rideaux reste sensiblement le même que la saison dernière. Du point de vue du public, l’offre est donc là, malgré les difficultés que nous connaissons comme tout le monde. Cela nécessite de s’adapter. Parmi ces adaptations, nous avons supprimé notre traditionnel concert de lancement de saison, qui impliquait d’habitude les forces vives de la maison. De même, avec une situation économique moins contraignante, nous aurions sans doute ajouté une sixième production lyrique. Nous avions un titre en tête, que nous ferons du coup sur une saison ultérieure. Je garde toujours cette flexibilité pour m’adapter aux évènements et au budget, mais aussi au remplissage de la salle. En revanche, l’absence d’opéra jeune public n’est pas liée à la situation économique : la saison avait été pensée ainsi dès le départ. Nous allons travailler avec le jeune public sur Esmeralda, qui bénéficie d’une représentation pour les scolaires. Au total, nous accueillons 23.000 scolaires chaque année, à travers deux matinées symphoniques et deux matinées danse, ainsi que des productions d’accueil.
Nous poursuivons également nos efforts sur les tarifs : nous sommes l’opéra le moins cher de France, avec des tarifs étudiants, des places en dernière minute à cinq euros. Surtout, notre prix maximum est de 63 euros. C’est moins cher que d’aller voir du football, un Zenith ou les Jeux Olympiques. Cela reste donc populaire.
Vous n’aurez que des nouvelles productions la saison prochaine : comment parvenez-vous à maintenir ce dynamisme ?
Effectivement, les cinq productions lyriques sont des nouvelles productions, qui ont été construites au moins en partie dans les ateliers de l’Opéra de Saint-Étienne. C’est un effet du Covid : les reprises de la saison dernière nous ont libérés du temps d’atelier. En temps normal, nous ne pourrions matériellement pas faire cela, et ce ne sera d’ailleurs pas le cas la saison suivante. En moyenne, nous faisons trois nouvelles productions par an. Parmi ces spectacles, seule la production de La Bohème n’est pas créée ici, puisque le TCE la programme en cette fin de saison.
Cette situation impacte-t-elle votre préparation des saisons suivantes ?
Je programme aujourd’hui jusqu’en 2026. Je garde pour l’instant la voilure de 2023/2024 pour les saisons suivantes, en gardant des options ouvertes pour avoir une capacité de réaction si la situation s’améliore.
L’an dernier, vous proposiez à votre public de se laisser transporter. Votre thème de la saison prochaine est « Laissez-vous émerveiller ». Pourquoi ?
Nous essayons d’avoir une logique de communication sur plusieurs années. Il n’y a pas particulièrement de logique de programmation liée au thème, mais l’objectif de créer du lien avec nos spectateurs, de montrer que l’opéra est pour tout le monde, que c’est un art populaire. Nous mettons l’humain à l’honneur, comme nous le faisons depuis ma prise de fonction en 2014.
Le premier titre lyrique sera La Esmeralda de Louise Bertin, qui répond au critère que vous avez fixé pour les redécouvertes : que cela fasse écho à des figures connues du grand public. Comment décririez-vous cet opéra ?
Notre spécificité, c’est d’être particulièrement actifs sur le répertoire français, sur les redécouvertes, autant que possible à travers des productions maison. La Esmeralda, qui nous permet de mettre en avant une compositrice, Louise Bertin, répond à ces trois spécificités. Le titre est rare, mais il évoque en effet quelque chose. C’est un opéra en quatre actes, mais dans une forme plus réduite que les autres titres, sans transiger sur la qualité. La production sera créée chez nous, au Théâtre Copeau (en placement libre, comme tous les spectacles que nous y programmons, du fait des spécificités de la salle), dont la taille de la scène est plus adaptée à la taille de cette production que celle du Théâtre Massenet qui est beaucoup plus grande. Le fait d’avoir ainsi une production plus légère était prévu dès la conception du projet il y a trois ans : là encore, cela n’a rien à voir avec la situation économique. C’est un projet que nous avons construit avec le Théâtre des Bouffes du Nord, qui a imaginé ce projet. Il y a plusieurs coproducteurs, ce qui nécessite que la production puisse s’adapter à toutes les maisons (ce qui est toujours compliqué, c’est pourquoi je m’intègre rarement aux grandes coproductions). Nous avons construit les décors, et Tours a fabriqué les costumes. L’ensemble de la distribution est prévue pour toute la tournée.
Le livret est-il fidèle à Notre-Dame de Paris ?
Oui, l’histoire n’est pas réinventée. En revanche, le roman étant colossal, des partis-pris ont été effectués pour l’adapter en opéra. L’ouvrage va durer environ une heure trente. Il y aura quelques coupes pour arriver à cette durée.
Quel est le projet de Jeanne Desoubeaux à la mise en scène ?
Bien sûr, elle a rebondi sur la catastrophe qui a touché Notre-Dame de Paris : le décor sera notamment composé d’échafaudages car l’intrigue se tiendra pendant la reconstruction.
Quelques jours plus tard, vous présenterez Le Trouvère, cette fois au Théâtre Massenet : pourquoi ce choix ?
Cela fait partie des titres du grand répertoire (il n’y en a pas tant que cela) que le public a envie de réentendre de manière régulière. C’est aussi notre mission de les présenter. Parmi ces très grands titres, nous privilégions le répertoire français et italien car nous sommes une ville du sud : nous avons essayé de faire du Wagner, mais ça marche moins bien. Nous n’avions pas présenté Le Trouvère depuis 10 ans : nous le jouons donc, mais dans une nouvelle mise en scène, avec une nouvelle vision. Notre logique à Saint-Etienne, c’est de proposer des très grands titres et des redécouvertes, ce qui ne laisse pas vraiment de place à des titres intermédiaires car nous ne pouvons faire que cinq ou six titres.
Comment avez-vous choisi Louis Désiré ?
Je discute avec les metteurs en scène : ils me disent ce qu’ils aimeraient faire. Si je m’entends bien avec eux, que j’apprécie leur travail et que j’ai un projet qui peut correspondre, alors je le leur propose, en prenant soin de laisser de la place à de nouveaux artistes. Je tiens compte aussi des réactions du public stéphanois, si c’est un metteur en scène qui est déjà venu. Mais lorsque je choisis un metteur en scène, je le laisse totalement libre de ses choix et je n’interviens pas du tout dans son travail. La liberté artistique est très importante à mes yeux. Tant que la proposition reste dans le budget fixé, je n’interviens donc pas. À la fin, c’est le public et la critique qui tranchent.
Vous prévoyiez que Giuseppe Grazioli dirige deux opus lyriques par an : ce seront les deux ouvrages italiens cette année. Est-ce le plus logique ?
En effet, il est italien, donc c’est un répertoire qui lui va bien. Notre accord avec lui, c’est qu’il a la primeur de deux ouvrages lyriques : c’est donc lui qui choisit, parmi les titres que je décide de programmer, les deux qu’il souhaite diriger. De même, il choisit les deux ou trois concerts symphoniques qu’il veut diriger. Bien sûr, sa décision se base sur sa sensibilité, mais se fait aussi selon ses disponibilités, car je ne choisis pas les dates des productions en fonction de lui. Ce qui facilite les choses, c’est que les dates des productions sont toujours les mêmes à quelques jours près, car elles sont calées sur les vacances scolaires : comme le public est moins disponible pour venir à l’Opéra, nous mettons nos répétitions pendant les vacances et les représentations viennent dans la foulée.
Voulez-vous dire un mot sur la distribution ?
C’est Giuseppe Grazioli qui m’aide à construire les distributions. Or, il aime avoir des chanteurs italiens pour servir le répertoire italien. Cela explique que plusieurs artistes de la distribution feront leurs débuts à Saint-Etienne. Cela ne nous empêche pas de rester attachés à notre tradition d’engager des artistes français. Nous discutons des choix de distribution, et j’essaie de réengager les chanteurs qui ont eu ici de grands succès.
En février, vous proposerez une nouvelle production des Pêcheurs de perles : pourquoi ce choix ?
Pendant le Covid, nous avions prévu de présenter ce titre, dans une production que nous louions. Nous avions dû annuler, mais le public s’était précipité pour acheter des places : puisque c’est un opéra que le public veut voir, j’ai choisi de le reprogrammer, mais cette fois dans une production maison, puisque nous avions la possibilité de le faire.
Qui est Laurent Fréchuret qui mettra l’opus en scène ?
C’est un metteur en scène de théâtre stéphanois, qui n’était jamais venu mettre en scène ici depuis ma prise de fonction en 2014. Il avait en revanche été invité par mon prédécesseur, et avait fait une proposition de qualité. Nous nous rencontrons souvent, nous nous apprécions, et j’aime faire travailler les stéphanois de qualité, je lui ai donc proposé ce titre : il était très enthousiaste à l’idée de se lancer dans ce projet. Pour le coup, il y aura de l’émerveillement dans sa proposition. Ce ne sera pas une vision très classique, mais elle devrait faire rêver le public.
La distribution est assez jeune (Leïla : Catherine Trottmann, Nadir : Kévin Amiel, Zurga : Philippe-Nicolas Martin) : est-ce un choix en lien avec la mise en scène ?
Pas particulièrement. Ce sont des chanteurs français qui sont déjà venus à Saint-Etienne et s’étaient montrés convaincants. Cela permet de les fidéliser, et d’établir des relations de confiance avec eux.
Autre rareté de la prochaine saison, Le Tribut de Zamora de Gounod, que le Palazzetto Bru Zane avait permis de redécouvrir il y a quelques années : qu’est-ce qui vous a séduit dans cet opus ?
Pour moi, c’est la vraie redécouverte de la saison, même si ça n’évoque pas un sujet présent dans l’imaginaire collectif. Mais c’est Gounod, ce qui parle au public. Et puis j’ai construit un cycle Gounod ces dernières années, avec notamment La Nonne sanglante de cette année : à chaque fois, la musique est superbe. J’ai découvert deux extraits de cet ouvrage durant le gala des 10 ans du Palazzetto Bru Zane au Théâtre des Champs-Élysées. Je ne connaissais pas du tout et j’ai été tout de suite séduit par cette musique. Quand j’ai découvert qu’il s’agissait d’une œuvre de Gounod, j’ai décidé de le présenter au public stéphanois.
Pourquoi avoir choisi Gilles Rico à la mise en scène et Hervé Niquet à la direction ?
C’est la première fois que Gilles Rico viendra faire une mise en scène chez nous : c’est important de laisser de la place à de nouvelles visions. De la même manière, Hervé Niquet s’est imposé comme une évidence, d’autant que les deux étaient enchantés de travailler ensemble.
Est-ce qu’une captation d’un tel opus est envisageable ?
Bien sûr, nous aimerions beaucoup. Mais la difficulté dans ces projets réside dans les questions de droits. Dès lors que nous captons pour une diffusion, il faut payer des droits à tous les artistes : les maîtres d’œuvre, les solistes, l’orchestre, le chœur, les figurants s’il y en a. Cela représente vite une masse financière importante. Or, je préfère donner la priorité au spectacle vivant plutôt qu’à la diffusion : s’il faut renoncer à un concert symphonique pour faire une captation, alors notre mission est prioritairement de jouer le concert. L’autre difficulté est d’attirer les producteurs et les diffuseurs. Nous avions essayé pour Dante et Lancelot, mais cela n’avait pas abouti malgré nos efforts.
Enfin, La Bohème refermera la saison : ce choix est-il fait en hommage à Puccini dont ce sera le centenaire de la mort ?
Tout à fait, mais pas seulement. Cette saison, du fait des reports, nous avons enchainé Andromaque et La Nonne sanglante, deux titres peu connus : je voulais être plus équilibré la saison prochaine. Quand le Théâtre des Champs-Élysées, avec lequel nous collaborons régulièrement (c’est notre quatrième coproduction depuis 2014) m’a proposé ce titre, j’ai donc été intéressé. Et encore plus quand j’ai appris que ce serait mis en scène par Éric Ruf avec les costumes de Christian Lacroix : il est très dynamisant pour nos ateliers de travailler sur ses costumes. Cela apporte un peu de magie. Laurent Delvert, qui est déjà venu quatre fois ici, réalisera la mise en scène : il connait la maison, le plateau et les équipes.
Dans le reste de la programmation, vous donnerez la 9ème Symphonie de Beethoven au mois de juin : pourquoi ?
De manière générale, nous avons sur le symphonique le même positionnement que sur le lyrique : nous privilégions le répertoire français et les raretés, y compris via des commandes comme celle que nous avons passée à Benoît Menut qui est un compositeur important et de très grande qualité, mais aussi des grands tubes du répertoire. Le public aime entendre ces grands titres : la 9ème Symphonie en fait partie. On sait que les places pour ce concert vont partir en quelques jours, et nous espérons que les spectateurs de ce concert viendront aussi voir des concerts présentant des œuvres moins connues. L’an dernier, nous avions ouvert la saison par un Requiem, nous la refermons cette année par un Hymne à la Joie.
Quels seront les autres temps forts de la saison symphonique ?
Pour le 31 décembre, nous proposerons des grands tubes pour une soirée festive, avec du baroque, du tango, des ouvertures d’opéras, des marches symphoniques. Il y aura aussi un concert de jazz avec le big band du Conservatoire, qui jouera du Duke Ellington, montrant ainsi que les musiciens de musique dite savante savent tout jouer. Emmanuelle Bertrand, artiste locale, viendra sur un concert symphonique, et sur un concert du SyLF [Symphonie Loire Forez, ndlr] intitulé « 24 heures de la vie d’une femme ». Notez que même si ce n’est pas dans la programmation officielle, nous accueillons du théâtre, du jazz, de la variété (avec Renaud qui viendra pour deux dates, par exemple).
Il y aura aussi un concert O King avec la soprano Hélène Walter et Bruno Mantovani à la direction : comment décririez-vous ce spectacle ?
Nous avons deux ensembles en résidence : l’un en musique ancienne avec Canticum Novum et un ensemble de musique contemporaine dirigé par Bruno Mantovani. Ils ont donc chacun carte blanche pour deux ou trois concerts par saison. Ce concert s’inscrit dans ce cadre.
Il y aura aussi un récital de Jérôme Boutillier qui interprétera Winterreise : l’objectif est-il de poursuivre la relation de fidélité avec lui ?
Non. Nous sommes très contents de cette fidélité qui s’installe avec Jérôme Boutillier, mais ce n’est pas la raison d’être de ce concert. Chaque année, nous proposons deux ou trois récitals de piano, en essayant de diversifier. Or, lui avait ce projet et j’ai été tout de suite intéressé. En effet, quand je suis arrivé, je programmais des récitals de voix au Grand Théâtre Massenet, et ça n’a jamais pris. J’ai donc arrêté et j’espère redonner envie au public en mixant récital piano et voix. C’est aussi une manière de plus exploiter le Théâtre Copeau qui était trop dédié au scolaire et au jeune public, et dont la jauge est plus adaptée aux récitals que le Grand Théâtre de 1.200 places, qui paraît vide même si nous attirons 500 personnes, ce qui est déjà une belle salle pour un récital.
Quels sont les principaux évènements du reste de la programmation danse que vous souhaiteriez mettre en avant ?
Nous avons un très gros public danse à Saint-Etienne : nous aurons sept titres chorégraphiques la saison prochaine, avec une programmation éclectique. Et nous faisons le plein. Comme chaque année, nous coproduisons un nouveau spectacle avec le Ballet de Biarritz. Ça va s’appeler Les Saisons. Ce sera basé sur les Quatre saisons de Vivaldi, que nous avons jouées en concert symphonique cette année. Mourad Merzouki reviendra avec Zéphyr. Il y aura aussi une nouvelle production du Ballet Preljocaj, Mythologies, dont la musique classique originale a été composée par Thomas Bangalter, ancien membre du groupe Daft Punk. Cela prouve que les artistes de talent savent tout faire.