« Les Janequin », ou la polyphonie jubilatoire Salle Cortot
L’Ensemble Clément Janequin se présente comme des rocks stars, en costumes-cravates couleurs flashy, dans un non-assortiment assumé. Semblant emboîter le pas aux Rolling Stones (qui fêtaient leurs 60 ans en 2022), mais dans un autre style, l’ensemble poursuit sa carrière commencée il y a plus de quarante-cinq ans dans le répertoire de la musique polyphonique de la Renaissance.
Le ton est donné et les musiciens sont les premiers à s’amuser comme des petits fous en présentant un florilège de chansons humoristiques où se mêlent grivoiseries et chansons à boire. À l’origine, ce répertoire n’était pas destiné à un public mais était interprété entre amis, autour d’une table pouvant être recouverte de mets et de boissons. Ce soir, seules les tablettes sont disposées sur la table autour de laquelle les chanteurs sont assis, mais l'esprit -savoureux- est bien là.
Afin de rendre compréhensible le texte poétique que la polyphonie savante peut rendre quelque peu opaque, les chanteurs s’engagent avant chaque pièce dans une déclamation théâtrale pleine d’esprit et de franche rigolade à l’évocation du « Tétin refaict plus blanc qu’un œuf » ou de la gaudriole dans « Or vien ça » de Clément Janequin ou encore dans l’imitation des cris d’animaux dans La Chasse du même compositeur. Leur liberté n’a d’égale que la liberté des propos des textes qui oscillent entre farces, érotisme et trivialité et qui étonnent les oreilles contemporaines.
Le son des « Janequin » est particulier en ce sens qu’il privilégie, non pas l’homogénéité, mais la spécificité vocale et musicale de chacun au sein de l’ensemble. Ainsi, l’auditoire peut-il suivre un timbre ou un phrasé mené par un chanteur au sein de la polyphonie alors que les voix (uniquement masculines) sont très proches et peuvent aussi parfois se croiser.
Le contre-ténor Dominique Visse, seul « Janequin » d’origine (fondateur du groupe en 1978), assure la direction de l’ensemble ainsi que la voix du dessus. Chantant exclusivement en registre de tête, il conserve la droiture de son émission dans une intelligibilité irréprochable et un engagement enthousiaste. Cependant, la voix montre quelques faiblesses, notamment dans les notes les plus aiguës, la justesse s’en trouvant fragilisée.
À ses côtés, le ténor Hugues Primard fait entendre une voix veloutée alliant précision et rondeur. Il amuse lorsque, ne participant pas à la polyphonie, il regarde ses acolytes d’un air dubitatif. Le baryton Vincent Bouchot, tout en facétie, assure le lien entre les voix du dessus et la basse qu’investit assurément Renaud Delaigue. Socle puissant, ses graves se timbrent dans de riches résonances et il n’est pas en reste pour participer aux plaisanteries.
Le luthiste Eric Bellocq accompagne les joyeux drilles dans une concentration imperturbable. En solo, il interprète des danses d’Adrian Le Roy et de Pierre Attaingnant, faisant entendre son expertise et sa grande musicalité.
Le public, réjoui, acclame les artistes et, pour obtenir une nouvelle pièce, une surenchère de gauloiseries s’ensuit entre Dominique Visse et un spectateur : (« Vous en voulez une petite ? », « Une grosse ! », « Elle ne sera pas longue ! »). C’est dans un bonheur contagieux que les musiciens interprètent deux bis : Le chant des oyseaulx de Janequin et O joly bois de Sermisy, achevant la soirée dans la douceur et laissant le public espérer les quarante-six ans prochain !