La Cenerentola au Palais Garnier : prise de rôle applaudie pour Marianne Crebassa
Certaines idées du metteur en scène Guillaume Gallienne (interviewé ici par nos soins) sont savoureuses (l’accueil réservé aux prétendantes du Prince par les deux vilaines sœurs, armées de fusils !), d’autres très pertinentes : le fait que l’action de cette Cenerentola soit située en Campanie permet ainsi de prendre au premier degré les paroles du finale du premier acte (« Je crains que sous la terre, peu à peu, quelque feu ne se développe ») et de proposer un équivalent scénique au tumulte de l’orchestre et des voix (les personnages tentent de rester debout alors que la terre tremble sous leurs pieds). Enfin, même si l’aspect comique y est très présent, cette mise en scène n’est pas exclusivement « bouffe », ce qui correspond bien à l’esprit de l’œuvre certes drôle mais aussi touchante. En revanche, le choix a été fait de ne pas représenter le palais du Prince de façon réaliste. Un contraste aurait pourtant été le bienvenu entre les décors (Éric Ruf) représentant la demeure de Don Magnifico (une façade délabrée quelque peu enfouie dans la terre) et celui du palais de Ramiro.
L’Orchestre de l’Opéra de Paris se montre brillant et belcantiste grâce à la richesse des coloris, la virtuosité des instrumentistes, et par sa précision rythmique. Au rideau final, les musiciens se retournent vers le plateau et applaudissent très longuement les chanteurs mais aussi le chef : leur complicité avec Evelino Pidò est manifeste, et cette entente, ce travail commun ont largement porté leurs fruits. La direction de Pidò (qui nous en parlait en interview) est séduisante : avec des tempi vifs mais ménageant des plages de pure poésie (la canzonetta de Cenerentola, la scène du deuxième acte dans laquelle elle implore « le triomphe de la bonté ») ou de drame (la colère du Prince devant l’attitude de Magnifico, Clorinda et Tisbe), elle épouse les méandres de la comédie, menée sans temps mort tout en conservant souplesse et respiration.
Tous les chanteurs sans exception reçoivent un accueil formidable de la part du public : les deux sœurs (Chiara Skerath et Isabelle Druet) sont impeccablement insupportables (avec un brin d’acidité dans le timbre de Chiara Skerath, mais qui sert la caractérisation du personnage). Le timbre d’Adam Plachetka (en Alidoro) manque quelque peu de rondeur et de velouté. Mais la technique du chanteur lui permet de venir à bout aisément des coloratures qui émaillent son air du premier acte (très applaudi), et sa haute stature lui permet de camper de façon très crédible ce personnage de philosophe tirant les ficelles de l’action. Alessandro Corbelli maîtrise le chant syllabique : il vient à bout sans difficulté des interminables énumérations qui émaillent ses deux airs et se montre très drôle, mais aussi parfois assez inquiétant dans le cynisme et l’hypocrisie qu’il donne au personnage.
Au premier acte, Florian Sempey (à retrouver lui aussi en interview) éprouve quelques difficultés dans le bas de la tessiture, ce qui le pousse à prendre parfois des libertés avec la ligne mélodique. Mais ce problème disparaît au second acte, et son chant percutant tout comme son aisance scénique en valet Dandini lui valent un grand succès. Lawrence Brownlee (Don Ramiro) orne et agrémente de quelques aigus spectaculaires la reprise de son air du deuxième acte (« Sì, ritrovarla io giuro ! »). Pour que le portrait de ce Prince soit vraiment complet, il lui faudrait ici ou là un peu de douceur ou de fragilité, qu’un usage plus fréquent des demi-teintes (dont le ténor est par ailleurs tout à fait capable : superbe diminuendo sur « ti stringerò »/ « je t’embrasserai » au milieu de son air) lui conférerait aisément.
Enfin, Marianne Crebassa remporte sans doute l’un des plus beaux triomphes de sa jeune carrière. Dotée d’un beau timbre qui accroche immédiatement l’attention et se trouve être fort émouvant (le petit vibrato serré qui le caractérise n’est pas pour rien dans l’émotion qu’il distille), au service d’une ligne de chant extrêmement soignée, elle propose un portrait de Cendrillon à la fois très crédible comme victime au premier acte et comme princesse dans sa belle robe blanche immaculée au finale. Le personnage de Cendrillon est extrêmement touchant, frêle silhouette en haillons n’ayant de réelle complicité qu’avec la prostituée dont son père s’offre les services. Les aigus du rôle sont fréquemment chantés piano, ce qui donne beaucoup de fraîcheur et de poésie au personnage. C’est d’ailleurs dans les aigus forte que se situent les limites de cette belle voix : ceux du rondeau final plafonnent ou sont un peu criés. Par ailleurs, la virtuosité, sans être éblouissante, ne se résume pas à un froid exercice de pyrotechnie et elle est toujours au service de l’expression.
Il ne vous reste que peu de temps pour l’entendre dans cette production, en réservant à ce lien