Concert de None au Collège des Bernardins avec Aedes
Comme si le chœur voulait arrondir, par sa voix, les angles des voûtes en ogives au Collège des Bernardins pour les rendre romanes, la langue germanique est par eux adoucie, assouplie et arrondie, offrant des chuintantes caressantes mais perdant aussi la percussion des consonnes suivantes, notamment des dentales, qu'elles soient occlusives (le t de Schatz) ou labio-dentales (le v de Zwei).
L'interprétation a la précision coutumière à cet Ensemble Aedes : les voyelles sont différenciées jusque dans le détail (la différence subtile d'ouverture entre le e de Er et de Es, tous deux traduits par le pronom "il"), l'impeccable synchronisation homorythmique (articulation simultanée notamment dans le Roi de Thulé de Goethe et Schumann), les nuances raffinées jusqu'au chuchotement polyphonique harmonieux, les clochettes vocales suivies d'un timbre velouté, et une délicatesse globale qui sait parfois monter crescendo (vers un son saturé toutefois), le tout dans un lien constant au sens du texte : "Comme le monde s'agrandit ! Plus on monte haut dans la montagne, Plus loin il s'élargit" chante le berger (Hirtenlied) dans le poème de Johann Ludwig Uhland (1787-1862) mis en musique par Mendelssohn (1809-1847). La chorale avait déjà illustré la dimension inverse au début du même morceau ("Méchant hiver, Comme le monde est petit !"), à l'image de tout ce concert, figuraliste : l'interprétation musicale illustrant le sens du texte et ses éléments de manière littérale, sans pour autant perdre les articulations ni la ligne d'ensemble.
En prélude aux Liebeslieder de Brahms (1833-1897), Mendelssohn et Schumann (1810-1856) alternent ainsi avec un certain naturel, à l'inverse des lettres passionnées échangées entre Clara Schumann et son "cher Robert" lues en intermèdes par des chanteurs emphatiques (suscitant des sourires réprimés par des membres du public et même des collègues sur scène).
Le programme se poursuit dans cet esprit de mélange puisqu'Aedes puise dans les deux différents cycles des Liebeslieder de Brahms (opus 52 et 65 de 1869 et 1874) et entremêle leurs numéros. Les choix d'enchaînement sont toutefois heureux, alternant les atmosphères et sollicitant tour-à-tour certains pupitres davantage exposés afin d'amoindrir la fatigue des interprètes (pourtant perceptible, notamment dans le solo censé rendre hommage à Un joli petit oiseau).
L'accompagnement des Liebeslieder à quatre mains porte fort bien son nom, les deux pianistes laissant entendre chacune des voix et parties, mais également en ce que Tanguy de Williencourt et Yoan Héreau se meuvent ensemble, balançant amplement de droite et de gauche. Un autre opus lié à l'amour (Liebe) : Liebesträume (Rêves d'amour) de Liszt est interprété par Yoan Héreau en soliste. Il sait s'appuyer sur la résonance de sa pédale et de l'acoustique cistercienne sans s'y perdre nullement, même dans les mouvements rapides de cette pièce pourtant écrite en vue du salon et du concert avec leurs réverbérations bien moindres.
Cet office de None musical se clôt par Zum Schluss, "À la fin" aux accords très justes, doux et recueillis, à l'image des lieux.