Hérodiade de Massenet se livre sans partage à Saint-Étienne
Présenté à l’Opéra de Marseille en mars dernier (notre compte-rendu), cette co-production de la trop rare Hérodiade de Jules Massenet reçoit un accueil enthousiaste de la part du public stéphanois. Jean-Louis Pichon a élaboré un cadre unique et efficace construit tout en bois, qui se pare selon les scènes de quelques accessoires et de discrètes projections vidéo. Les toujours subtiles lumières de Michel Theuil s’allient aux décors et aux superbes costumes, créés par Jérôme Bourdin afin d’inscrire chaque scène de l’ouvrage dans sa pleine signification. Les rapports entre les personnages s’établissent ainsi avec clarté et profondeur. Il ne s’agit certes pas d’une relecture dramaturgique de l’ouvrage, mais d’une approche respectueuse qui laisse toute sa place à la musique de Massenet, si profondément expressive et somme toute encore de forme assez classique pour cet opéra de jeunesse.
La direction musicale de Jean-Yves Ossonce constitue l’atout majeur de la représentation. Dès les premières mesures, le ton s’impose. L’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire se livre sans arrière-pensée, avec un rare souci des nuances et un lyrisme puissamment affirmé. Le chef connaît les voix et il sait les soutenir, les mettre en valeur, surtout lorsque plusieurs interprètes -comme ici les deux héroïnes féminines-, apparaissent dans leurs premières années de carrière.
D’une aisance vocale remarquée, Élodie Hache (Salomé), un peu timide au début du spectacle s’investit ensuite notamment lors de sa confrontation avec Hérode à l’acte 3, rappelant les voix des sopranos françaises d’autrefois (comme Suzanne Sarroca ou Andréa Guiot). La voix se déploie sans effort sur toute la tessiture, épanouie, large et s’appuyant sur un souffle maîtrisé, avec un aigu rayonnant, une authenticité sans défaut : un travail plus accentué sur les couleurs apparaîtrait dès lors comme un passage obligé. Élodie Hache est par ailleurs une musicienne aguerrie, titulaire d’une licence de Musicologie à la Sorbonne, ancienne élève de l’Atelier Lyrique de l’Opéra national de Paris. Elle retrouvera l’Opéra de Saint-Étienne en février prochain en Fiordiligi de Cosi fan Tutte de Mozart. Une jeune et talentueuse artiste à suivre très attentivement (en l’ajoutant à vos favoris, en haut de sa page).
Emanuela Pascu pour sa part campe une Hérodiade toute de fierté et passionnée, qui laisse pleinement transparaître les déchirements du personnage partagé entre son amour immodéré pour Hérode et le souvenir de sa fille abandonnée, qui se révélera être Salomé. Sa voix imposante de mezzo-soprano s’attaque avec véhémence aux redoutables écarts vocaux d’Hérodiade, avec des aigus puissants, un bas médium certes moins épanoui et des graves quelquefois trop accentués. Mais la prestation est séduisante d’audace même et de forte caractérisation.
Florian Laconi, déjà le prophète Jean à Marseille, se heurte aux difficultés d’un rôle qui requiert décidément un fort ténor. La seconde partie le trouve certes plus à l’aise, moins tendu, mais la voix lors de cette soirée laisse alors percevoir un legato trop marqué. Le baryton Christian Helmer (Hérode) livre une prestation solide tant au plan vocal -mais l’aigu peine un peu tout de même- que scénique : le timbre est attractif, l’investissement fort présent. Le devin Phanuel trouve en Nicolas Cavallier un artiste à sa juste mesure. Sa voix de basse aux accents caverneux est vibrante d’expressivité. L’air de Phanuel "Astres étincelants" constitue le clou vocal de la soirée. Jean-Marie Delpas (Vitellius) semble quant à lui fatigué, moins à l’aise qu’à son habitude. Il convient de souligner les interprétations d’un bon niveau de Catherine Séon au soprano épanoui (La Babylonienne), Bardassar Ohanian percutant Grand Prêtre et Pier-Yves Têtu (la voix), tous trois membres du Chœur Lyrique.
Il reste à se réjouir que malgré l’arrêt du Festival Massenet dans sa ville natale, les opéras du compositeur, notamment les moins joués comme Hérodiade, fassent encore les beaux soirs de l’Opéra de Saint-Étienne.