La Donna del lago : feu d’artifice belcanto à Marseille
Composé en 1819 par Rossini, La Donna del lago est un opéra relativement méconnu, beaucoup moins joué que Le Barbier de Séville ou La Cenerentola, mais la qualité de sa musique, véritable hymne au belcanto, ne fait aucun doute. A l’occasion des 150 ans jour pour jour de la mort du compositeur, elle fait sa première à l’Opéra de Marseille.
José Miguel Pérez-Sierra dirige l’Orchestre de l'Opéra de Marseille avec justesse et aplomb, bien que les cuivres soient un peu trop présents dans le deuxième acte. Dans cette partition qui fait aussi briller les solistes instrumentaux, la harpe et la clarinette se distinguent particulièrement. Le Chœur est très juste : il se dresse en véritable mur sonore lors des scènes martiales, et accompagne les chanteurs solistes avec rigueur et entrain.
Les quatre rôles principaux de La Donna del lago présentent un ambitus conséquent, une succession rapide d’airs très difficiles et de très nombreuses vocalises. Figure de proue de la soirée dans le rôle d’Elena, Karine Deshayes envoûte le public dès son air inaugural "Oh Mattutini Albori". Sa tessiture agile de mezzo très soprano semble se rire de la difficulté extrême de sa partition : sa voix est toujours très claire et raffinée, et les legati se déroulent toujours d’une belle souplesse liquide. Lorsque l’opéra s’achève sur son air le plus fameux, le rondo "Tanti affetti in tal momento", l’artiste fait étalage de toute sa virtuosité rossinienne : graves faciles et généreux, gracieux sauts de colorature dans l’aigu, projection maîtrisée.
La mezzo-soprano arménienne Varduhi Abrahamyan (Carmen et Olga à l’Opéra de Paris la saison dernière, Preziosilla dans La Force du destin l'année prochaine) est bouleversante dans le rôle travesti de Malcolm. Son air particulièrement ardu du premier acte "Mura Felici... Elena! o tu, che chiamo" est le plus applaudi de la soirée. La chanteuse n’a pas besoin de costume ou de décor pour vivre la musique : autoritaire et profonde dans ses graves de contralto, elle tresse de magnifiques vocalises jusque dans les aigus. Son duo d’amour "Vivere io non potro" avec Karine Deshayes captive particulièrement : deux mezzos sur le papier, mais sur scène symbiose entre registre de contralto très expressive et insolente indolence de soprano léger.
Enea Scala (Rodrigo) et Edgardo Rocha (le roi Giacomo) complètent la liste des amants d’Elena. Le deuxième acte leur procure l’occasion de se livrer à un réjouissant combat de ténors rossiniens sur le duo "Qual pena in me gia desta". Les deux artistes font montre d’une virtuosité remarquée tout au long de la soirée. Enea Scala, qui reviendra à Marseille en Alfredo fin décembre, a son heure de gloire à la fin du premier acte en enchaînant plusieurs airs apparemment inchantables qu’il dompte avec technique et aplomb. L’aura du chanteur, envoûtante, fait frissonner lorsque le chœur des soldats d’Écosse se lève à sa demande. Quant à Edgardo Rocha, ses arias d’amour regorgent d’expressivité, en particulier "Oh fiamma soave", et il affiche une très belle alchimie vocale et scénique avec l’Elena de Karine Deshayes.
Les rôles d’Albina et de Serano, surtout limités aux récitatifs, sont tenus par deux jeunes chanteurs très solides, Rémy Mathieu et Hélène Carpentier (qui revient à Marseille après sa participation au récital Voix Nouvelles du mois dernier). Enfin, le Douglas de Nicola Ulivieri, charismatique et sépulcral, incarne tout le poids de la tradition écossaise et la touche sombre de cette belle soirée lyrique.