L’Instant lyrique de Benjamin Bernheim et Ève-Maud Hubeaux à l’Éléphant Paname
Pour ce deuxième Instant lyrique de la saison (après un duo Jean-Sébastien Bou & Jodie Devos en ouverture), l’Éléphant Paname convie Benjamin Bernheim (à retrouver en interview). Le ténor compose un programme alternant entre pièces célèbres du répertoire lyrique et des compositions rares.
Surprise de la soirée, la mezzo-soprano Ève-Maud Hubeaux se joint
au ténor pour ravir l’auditoire avec « O don fatale »
(Don Carlo
de Verdi) et un final à deux voix pour couronner le tout, « Oui,
je reviens et pourtant... Pourquoi me réveiller » extrait du
Werther
de Massenet, le tout accompagné par Antoine Palloc, pianiste habituel des
lieux. Outre les invités présents lors de cette soirée, cet
Instant lyrique fait événement par une innovation numérique : la retransmission en direct du concert sur Instagram.
Après un premier arpège ouvrant le concert (le « Personne ici... toi qui fus douce » d’Henry Février), le ténor élance une ligne timide, a cappella, à fleur de peau, incarnée par un aigu subtil. Gonflant la poitrine, il ouvre alors la voix, pleine et d’un lyrisme héroïque, appuyant a piacere chaque syllabe avec une expressivité saisissante. La passion vive contenue dans la partition s’incarne par un travail sur les contrastes, avec un fin sens des nuances, dont une « carmosine » d’abord charnue, mais qui, sur la dernière syllabe, s’élève en un glissando vers un aigu léger et évanescent. L’articulation est très minutieuse, le « tout est silencieux » laissant sonner les sifflantes dans un accord parfait entre son et sens.
Avec une prestance scénique notable et une voix couvrant l’ensemble de la salle dans l’expression de mille passions, le ténor habite ensuite chacun de ses personnages avec la même énergie, la même intensité dans la voix qui se prête particulièrement bien au répertoire romantique. L’air de Manon « En fermant les yeux » est d’une grande authenticité, malgré quelques graves pris par le bas, de même que le « Kuda, kuda » de Lenski, conservant au fil de l’air une tension dans la voix avec des tenues piani comme suspendues dans les airs, des fortissimi et des modulations entre un espoir soudain et une résiliation fatidique.
Le ténor fait ensuite entendre un air du Tribut de Zamora de Gounod, flattant une diction française aboutie et homogène sur l’ensemble de la tessiture, avant de redécouvrir le Dante de Godard avec un sombre et sensible « Tout est fini pour moi sur la terre », alternance de lignes très poitrinées et d’une douceur attentionnée (« Envole-toi »). Inséré au sein de ce programme romantique, l’air de Mozart « Dies Bildnis ist bezaubernd schön » (La Flûte enchantée) est attaqué allant, mais pourrait être mené avec légèreté et délicatesse aux côtés d’un piano qui cultive l’agilité et l’élégance du trait.
La
vive passion s’incarne également en Ève-Maud Hubeaux dès ses
premiers instants sur scène, avec un « O
don fatale » porté
avec fureur sur les puissants accords du piano d’une voix serrée
et aiguisée jusqu’au climax « Je te maudis » avec un suraigu
strident. Nourrissant le contraste, elle montre ensuite une tendresse
exquise, évoquant les « folles amours » d’un timbre
chaleureux et clair jusqu’à un « Adieu » comme dans un
dernier souffle, avant de repartir gorge déployée pour un final
de bravoure. Ensemble, les deux interprètes mènent la tension à son comble lors du « Je t’aime » de Werther.
Antoine Palloc se fait tout au long de la soirée un accompagnateur de choix, installant l’auditoire dans des atmosphères variées par un toucher inspiré. Ce jeu est précis avec un son cristallin, laissant entendre la puissance d’un orchestre avec force accords et trémolos dans les parties agitées comme la subtilité d’une ligne naissante chantante par-dessus un accompagnement légèrement balancé et arpégé (« Kuda, kuda »). L’intensité du son va de pair avec celle des chanteurs, et naissent de beaux dialogues thématiques avec les voix au fil du concert.
Face
aux applaudissements chaleureux et aux nombreux bravi,
les deux interprètes offrent au public le duo des Troyens
de Berlioz « Nuit d’ivresse et d’extase », laissant
sensible un art du beau son avec deux voix formant des intervalles
miroitants et en demi-teinte dans l’évocation de cette nuit, pour
finir dans une sérénité absolue, finalement rompue par un très
théâtral « Il était une fois à la cour d’Eisenach ! »
(Les Contes d'Hoffmann)
où le ténor, embrassant l’espace et titubant à moitié, fait
résonner les sons claquants des « clic-clac » et autres « flic-flac » avec une théâtralité et une manière dans la voix qui ne
manque pas de faire redoubler les applaudissements du public.