Un Requiem de Mozart vibrant à Baden-Baden
De la Missa superba de Johann Caspar Kerll, introduction de ce concert, l’arrangement du Sanctus en ré majeur de Johann Sebastian Bach reste l’élément le plus connu. Le choix de cette Missa superba originelle, en préambule du Requiem de Mozart, est l’occasion de découvrir ou redécouvrir Kyrie, Credo et autre Sanctus moins connus que ceux du génial successeur, mais à la puissante portée sacrée.
Contrastant avec les premiers accords ombrageux du Requiem de Mozart, le Kyrie de la Missa superba est tout en légèreté, aérien dans la couleur des cordes que les archets semblent effleurer. L’arrivée de l’orgue n’alourdit pas le premier effet ressenti, mais ajoute une pâte sonore de solennité et de religiosité à une œuvre qui semble de prime abord si légère que son aspect sacré ressort davantage par le texte. Le chœur transcrit cette délicatesse par une portée mesurée, voire insuffisante chez les soprani. Le rythme bien plus enlevé du Credo fait gagner le chœur en résonance, soutenu dans sa diction nette par Thomas Hengelbrock et l'orchestre chaleureux.
Chantant lorsqu’il dirige, le chef axe sa battue dans un progressif bouillonnement de mouvements qui prépare l’Introït du Requiem. Les contrebasses, subtiles, se détachent de cet Introït fiévreux, avant un Kyrie enlevé dont le rythme, presque galopant, se pare de variations de puissance dosées à juste mesure.
L’agilité des cordes, le grondement céleste des cuivres ont de quoi subjuguer pour le Dies Irae, qui s’emballe, peut-être un peu trop, comme plus tard le Confutatis, dont les « flammes » prennent vie dans la vigueur de l’orchestre et la portée du chœur masculin. La chaleur enveloppante ne vient donc pas seulement des flammes, mais aussi du chœur et de son rendu, chaud et lugubre à la fois, porteur des interrogations du croyant.
Dans le très attendu Lacrimosa, le chœur trouve sa portée la plus aboutie. La diction, toujours impeccable, soutient une alternance de piani et de forte savamment dosés, rehaussés par des trompettes et percussions magnanimes, jusqu’au dernier Amen. La belle homogénéité constante de l’orchestre est alors atteinte par le chœur. Le public se retient d’applaudir, attendant les dernières mesures de l’Offertoire, pénétrant et souple, achevé par un Lux æterna au contrepoint précisément exécuté. Le chœur, à la fois doux et interrogateur, est rehaussé par les percussions et la communion globale se ressent pleinement. Un très long silence suit, rompu enfin par de timides applaudissements qui se transforment en une déferlante de bravi.
Peu de fioritures vocales sont attendues dans le Requiem, peu de place est laissée aux solistes qui ne viennent que renforcer la charpente du chœur. Ces composantes n’empêchent pas la soprano Katja Stuber de se distinguer des autres solistes par une voix cristalline d’emblée, puis un timbre qu’elle choisit d’envelopper sur certains mots, comme le « Jerusalem » de l’Introït. Sa portée plane au-dessus des autres jusqu’au Lux æterna final. La diction travaillée de l’alto Marion Eckstein est admirable. Les graves sont suffisamment soutenus, mais les aigus pèchent par une portée moindre, en particulier sur le Recordare.
Le Tuba mirum du trombone soliste trouve sa correspondance humaine en Reinhard Mayr. La basse propose des graves très solides dès le début, alors que les aigus sont plus difficiles à véhiculer. L’obstacle de la montée est enfin dépassé pour le Benedictus de l’Offertoire. La diction, comme celle des autres solistes, est impeccable de bout en bout. Le ténor Jan Petryka possède un timbre chaleureux, malgré une portée relativement restreinte. À l’unisson, les difficultés propres à chacun s’évanouissent dans un contrepoint harmonieux sur le Sanctus.
Deux rappels sont offerts. « Komm, o Tod, Du Schlafes Bruder » (Viens, ô mort, sœur du sommeil) de Johann Sebastian Bach, évocation du rapprochement spirituel dans l’au-delà, appelle une diction toujours précise, mais surtout, une portée volontairement réduite qui véhicule le message du texte. Enfin, s’éloignant de la tradition germanique, l’Ensemble choisit une pièce orthodoxe, l’ « Hymne des Chérubins » de Pavel Chesnokov, au souffle allongé, à la portée vocale mesurée, assurant une dernière ovation du public.