Lumières polyphoniques : les Tallis Scholars à l'Oratoire du Louvre
Le concert s'ouvre avec une prophétie :
Omnes de saba, motet sacré
de Noël à huit voix composé par Roland de Lassus (1532-1594). Placés
en arc de cercle, soprani et alti de part et d'autre des ténors et
basses, les chanteurs teintent la polyphonie d'une vive dynamique. De
courtes phrases bondissent d'un groupe à l'autre, évoquant ainsi la
diversité des personnes venues d'Orient pour visiter la « Lumière »
venue sur Terre. Bien que dense, le tissu polyphonique demeure
suffisamment épuré pour que les paroles soient compréhensibles.
La lumière annoncée s'intensifie peu à peu avec le Deutsches Magnificat d'Heinrich Schütz (1585-1672). Déjà présente chez Lassus, l'expressivité se fait plus vive et le texte transparaît davantage dans les imitations et autres figures rhétoriques. Cela résulte sans aucun doute des enseignements reçus par Gabrieli à Venise, ainsi que de l'écoute des madrigaux italiens, truffés de figuralismes. Le mot « erhebt » (exalte), est ainsi figuré par des imitations de plus en plus aiguës du mot par les deux groupes vocaux. Le visage et l'attitude des chanteurs n'en demeure pas moins impassible : la juste mesure est donnée à la voix et à son émission. Une douce sérénité se dégage de l'ensemble qui respire au rythme des gestes lestes et fluides de Peter Phillips.
Tout comme Schütz, son contemporain, Hans Leo Hassler (1564-1612) s'est inspiré des compositions de Gabrieli pour écrire sa Missa Octava a 8 dans laquelle les voix sont traitées en double chœur, en référence à la polychoralité vénitienne. Avec le motet, la messe est le deuxième genre vocal qui prédomine à la Renaissance. Dans celle-ci, l'alliage subtil des voix est mis au service de répétitions, qui loin d'être redondantes, offrent aux oreilles un semblant d'éternité. Les dimensions de l'Oratoire sont comme élargies, étirées vers les hauteurs, tant l'enveloppe acoustique qui émane de l'ensemble vocal est grande. L'éclat encore tamisé de ces polyphonies se fait perçant, rayonnant dans le Miserere Mei de Gregorio Allegri (1582-1652). Retranscrite à la Chapelle Sixtine par le jeune Mozart, perdue, puis à nouveau réécrite par Mendelssohn, cette œuvre à la partition tenue secrète n'était d'abord jouée qu'au Vatican. Des lumières supplémentaires s'allument dans le temple, et cette fois-ci le chœur prend possession de l'entièreté de l'édifice : une partie de l'ensemble prend place dans les hautes tribunes, une autre demeure dans le chœur, tandis que le ténor Simon Wall paraît au centre de la nef, au milieu des deux rangées du public. L’œuvre est entièrement spatialisée, comme elle l'était certainement dans la Chapelle Sixtine. A chaque groupe est confié une partie de l’œuvre : Simon Wall adopte un ton mesuré et une sobriété parfaite dans le passage semblable à une psalmodie tandis que le lumineux contre-ut s'envole des tribunes, émis par une voix de soprano invisible mais troublante de pureté. Dans une même veine méditative pleine d'humilité, le motet O bone Jesu pour six voix de Hieronymus Praetorius (1560-1629) raconte la grâce du Christ offerte à l'homme pêcheur, dont la « dualité » est évoquée par de discrètes dissonances dès les premières notes.
A la fois prolongement du style sérieux de la Renaissance et ouverture sur le style représentatif baroque, le motet Komm, Jesu, komm de Jean-Sébastien Bach (1685-1750) allie une écriture en imitation et des parties choral. Pris par le mouvement infini du contrepoint, les chanteurs se mettent en mouvement, balancent leur tête, entièrement immergés dans leur chant. Le voile se lève progressivement sur une expressivité croissante, laissant les auditeurs subjugués et encore plus admiratifs après le bis d'une œuvre à 10 voix. Ce concert sans faux pas, vaut bien une seconde écoute, possible dès le 11 décembre sur France Musique.