Le Nabucco de Lyon s’acclimate avec grand succès à Paris !
Les premiers Verdi sont particulièrement difficiles à réussir :
fougueux, souvent hautement inspirés, ils comportent quelques pages
pouvant parfois paraître un peu faciles ou frustes lorsque le chef
et/ou l’orchestre saisissent mal les enjeux esthétiques ou
dramatiques des œuvres. Ce n’est pas le cas lorsque Daniele Rustioni est aux commandes : après Attila et Macbeth l’an dernier, ce Nabucco confirme les affinités entre le chef italien et ce répertoire. D’une concentration et
d’une implication permanentes, Daniele Rustioni semble habité par
cette musique, sachant tirer de l’Orchestre et des Chœurs de l’Opéra de Lyon -au mieux de leur forme- des couleurs chatoyantes,
recueillies, agressives, pathétiques, dramatiques, en fonction des
situations particulièrement contrastées offertes par le livret.
Sous sa baguette, le rythme ternaire de l’air d’entrée de
Zaccaria n’évoque pas une valse (pour le moins exotique dans la
Jérusalem biblique !), mais la sérénité tranquille du grand
prêtre réconfortant les fidèles. De même, le finale de la
première partie perd le caractère sautillant qu’il revêt
parfois pour retrouver le caractère urgent, menaçant et agressif
qui est le sien. N’était une infime coupure dans les dernières
mesures de l’orchestre concluant l’air d’Abigaille, Daniele Rustioni, fort heureusement, fait entendre l’intégralité de la
partition, reprises des cabalettes de Zaccaria et d’Abigaille
incluses (très discrètement ornées de délicates variations). Dans
cette œuvre suscitant parfois certains excès, le chef fait preuve
de goût et de mesure : il exprime la fureur sans
hystérie, la tendresse sans mièvrerie, la grandeur sans emphase –et inscrit par ailleurs la partition dans une juste progression
historique, trait d’union entre le bel canto du Rossini sérieux,
de Bellini ou de Donizetti et les chefs d’œuvre de la maturité.
• Verdi : Nabucco [Daniele Rustioni, Orchestre et Chœur de l’Opéra de Lyon —Amartuvshin Enkhbat, Anna Pirozzi, Riccardo Zanellato, Enkelejda Shkoza, Massimo Giordano, Martin Hässler, Grégoire Mour, Erika Baikoff]@TCEOPERA pic.twitter.com/rvZLGbQYli
— Adalbéron Palatnīk (@adalberon_pala) 10 novembre 2018
Daniele Rustioni dirige amoureusement une équipe de chanteurs dont la
première caractéristique est la très grande homogénéité :
tous les rôles secondaires sont incarnés avec une implication
physique et vocale totale, de Grégoire Mour (Abdallo) à Erika Baikoff dans le rôle d’Anna, certes mineur mais qui ne peut être
confié à une voix trop fragile : c’est le soprano d’Anna qui, en
l’absence d’Abigaille, domine les autres voix dans la prière
finale « Immenso Jehovah ». Martin Hässler, voix
robuste et diction impérieuse, fait également des apparitions
remarquées en Grand Prêtre de Baal.
Le couple d’amoureux qui, une fois n’est pas coutume, passe au second plan dans Nabucco, est incarné par Enkelejda Shkoza, timbre opulent aux couleurs cuivrées, presque surdimensionné pour la tendre Fenena, et Massimo Giordano. Ce dernier campe un Ismaël capable d’une grande délicatesse dans son entrée (« Oh come più bella ») comme d’un désespoir vrai et touchant dans sa scène de la malédiction (deuxième partie).
Riccardo Zanellato est un Zaccaria plus vrai que nature, physiquement et vocalement : sa haute stature, ses longs cheveux bouclés grisonnants, son regard pénétrant en font un Grand-Prêtre des Hébreux crédible, d’autant que la voix manifeste la même autorité naturelle. Timbre plutôt clair, diction mordante, voix d’une qualité égale sur l’ensemble de la tessiture (seul l’aigu final de « Tu sul labbro de’ veggenti » / « Par la bouche des voyants » est un peu écourté) constituent autant de qualités fort appréciées des spectateurs.
Auréolée de son triomphe lyonnais, Anna Pirozzi remporte tous les suffrages du public parisien. La soprano délivre une interprétation parfaitement accordée à celle du chef. Elle ne délivre sa toute puissance vocale qu’à bon escient. Cette spécialiste de Puccini ou du répertoire vériste soigne ici particulièrement les coloratures, le legato, l’alternance piano/forte (notamment lors de sa scène d’entrée, avec un pianissimo aigu stupéfiant), l’expressivité dans les variations. Les écarts meurtriers du rôle sont maîtrisés avec une facilité déconcertante, et les graves (y compris celui de « o fatal sdegno ! » / « ô fatal courroux ! ») jamais poitrinés. Elle remporte un triomphe amplement mérité.
Quant à Amartuvshin Enkhbat, baryton mongol remplaçant Leo Nucci et ayant encore relativement peu chanté en Europe, il fait figure de révélation. Doté d’une voix d’une grande beauté, extrêmement saine sur l’ensemble de la tessiture, il fait entendre un chant plein de douceur et de tendresse. Ces qualités se révèlent formidables dans le duo avec Abigaille ou dans son air final, magnifiquement phrasé et qui suscite une ovation spectaculaire. L’interprète pourrait varier plus encore les couleurs et faire montre d’une diction plus incisive dans les scènes dramatiques, mais il s’agit d’ores et déjà d’un baryton que le public est impatient de réentendre.
De fait, il ne reste qu'à espérer que l’Opéra de Lyon et son chef continuent d’explorer le répertoire du jeune Verdi pour en faire profiter les publics lyonnais et parisiens dans ce qui s’apparente dorénavant à un rendez-vous annuel très attendu !