Marnie, nouvel opéra haut en couleurs en direct du Met
Marnie est inspiré de la nouvelle éponyme de Winston Graham, qui a également servi de base au célèbre film d’Alfred Hitchcock Pas de printemps pour Marnie. Pour chacun de ces opus, l’histoire est centrée autour de ce personnage de femme ô combien ambigüe, voleuse et menteuse comme elle le dit elle-même et de ses personnalités multiples.
Le livret, signé Nicholas Wright, s’attache davantage au récit de Graham qu’au film de Hitchcock. En simplifiant les relations entre les personnages, il clarifie l’intrigue qui gagne ainsi en efficacité.
Le spectateur suit sans difficulté l’évolution du personnage ou plutôt des personnages de Marnie. Cherchant à dédommager sa mère qui l’accuse d’avoir étouffé son petit frère durant son enfance, elle est d’abord voleuse sous l’identité de Mary Holland. Elle tente de récidiver chez son nouvel employeur, Mark Rutland, mais est démasquée et accepte de se marier avec lui contre son silence. Également courtisée par Terry, le frère de Mark, elle se refuse de toute manière aux hommes. Torturée par la culpabilité, elle est sans cesse perturbée psychologiquement. Rattrapée par la police suite à la dénonciation de Terry, elle apprend finalement le décès de sa mère ainsi que la vérité sur la mort de son frère : elle ne l’a pas tué. Elle s’exprime alors paradoxalement, menottes aux poignets « Je suis libre ! ».
La fluidité de l’histoire doit aussi beaucoup à la mise en scène de Michael Mayer. En personnifiant les différentes identités de Marnie en autant de femmes en manteaux de couleur, il offre d’abord un réel intérêt esthétique à la production (grâce aux très beaux costumes d’Arianne Phillips) mais aussi un apport dramatique intéressant. À cela s’ajoute une direction d’acteurs particulièrement soignée qui rend transparente les intentions des personnages. Les tableaux s’enchaînent simplement et rapidement et les projections vidéo pensées par Julian Crouch apportent beaucoup de dynamisme et permettent d’illustrer l’ambiance étrange suggérée par la musique.
Dirigée avec sensibilité par le chef Robert Spano, la partition de Nico Muhly prend tout son sens et résonne particulièrement bien dans les moments de questionnements psychologiques de Marnie et de ses doubles. À la fois épurée et rythmée, sa musique est une ligne sonore continue soulignant la caractérisation des personnages. L’ouverture du deuxième acte, servant d’illustration musicale à la bande-annonce est particulièrement réussie de ce point de vue.
Du côté des chanteurs, Marnie semble avoir trouvé en Isabel Leonard une interprète idéale. La mezzo-soprano américaine fait corps avec le personnage dans sa complexité et offre une interprétation plus que convaincante. Autant actrice que chanteuse, elle ne déçoit pas vocalement bien que la tâche soit difficile, étant quasi omniprésente sur scène. Tous les registres sont sollicités mais la voix est au rendez-vous et son timbre chaud et élégant convient parfaitement au rôle.
Le baryton Christopher Maltman incarne très justement Mark Rutland, le patron puis l’époux de Marnie. Il se révèle aussi habile dans les moments de séduction que de chantage, aussi bien vocalement que scéniquement. Le frère, Terry Rutland, est interprété par le contre-ténor anglais Iestyn Davies. Son personnage d’homme ne maîtrisant pas son image (à cause d’une tache de naissance sur le visage) est très bien rendu et la perversité de son caractère transparaît dans la partition comme dans le chant. Denyce Graves utilise les notes les plus sépulcrales de sa tessiture pour incarner avec justesse la mère distante et manipulatrice de Marnie.
À noter également les performances de Janis Kelly (Mrs Rutland), Anthony Dean Griffey (Mr Strutt) et le professionnalisme du jeune Gabriel Gurevich dans le rôle du petit garçon.
Les chœurs du Metropolitan Opera finissent de compléter ce beau tableau, offrant une belle prestation malgré la difficulté des passages que le compositeur leur a réservé.