Madame Butterfly sur papier glacé à l'Opéra Bastille
La mise en scène restitue une vision du Japon ancrée dans les racines de la gestuelle traditionnelle sans tomber dans les travers d’un orientalisme de mauvais aloi : plongée dans un monde teinté de mimiques Kabuki saccadées et précises.
Dans une scénographie épurée à l’extrême, un cyclorama géant en fond de scène sert d’horizon en lieu et place de la rade et du port de Nagasaki évoqués dans le livret. Un décor hypnotique qui alterne en fondu-enchainé les bleus argentés ou ultra-marins à des beiges irisés ou des roses pâles évanescents, jusqu’à un rouge incandescent illustrant l’arrivée de l’oncle bonze maudissant Cio-Cio San. Dans ces atmosphères, les personnages évoluent à petit pas, sur un minimaliste sentier tout droit sorti d’un temple Zen, marquant chaque transition à coup de gestes figés qui restituent cruellement l’évolution du drame. Ces saisissants enchainements lumineux sont également signés Heinrich Brunke et repris par A.J. Weissbard.
À la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, Speranza Scappucci offre une lecture élégiaque à l’arrivée de Butterfly et de sa suite ou encore pendant l’intermezzo symphonique illustrant le déroulement de la longue nuit d’attente de l’héroïne, de son fils et de sa suivante. Dans ces moments suspendus, l'orchestre emporte des notes colorées et tragiques, ainsi que la vivacité des cuivres et des cordes. En revanche, la fougue et la nervosité manquent dans les moments plus intenses ou dramatiques de la partition Puccinienne, comme le tourbillon de la scène d’ouverture, le chavirant duo d’amour de la fin du premier acte, ou surtout l'apothéose finale conduisant au suicide de l’amoureuse délaissée et trompée.
Le Chœur de l’Opéra national de Paris préparé par Alessandro Di Stefano délivre à chacune des interventions une articulation et un équilibre appréciables.
Tous membres du Chœur, dans les petits rôles des parents de Cio-Cio San et de l’officier du registre, Stéphanie Loris, Liliana Faraon, Marianne Chandelier, Hyunsik Zee et Young-Woo Kim (Yakuside à l'amusante composition de l'ivresse outrancière) accomplissent leur tâche avec efficacité et justesse. Le commissaire Impérial de Bernard Arrieta est projeté avec puissance, malgré une certaine raideur de phrasé.
Le Yamadori d’Andres Cascante séduit par ses accents plaintifs et son timbre à la fois puissant et délicat, tandis que Vartan Gabrielian fait mouche en Bonze vindicatif et outré.
Sofia Anisimova campe une Kate Pinkerton touchante dans son empathie et sa générosité, grâce à un legato souple et des phrasés bien construits. Carlo Bosi incarne un Goro fourbe et entêtant à souhait, grâce à un timbre très condensé et une théâtralité accrue.
Christopher Maltman est un Sharpless sans bémol, par l’ampleur de son médium, la qualité de sa prononciation, l’intelligence musicale de chaque intervention, la rondeur suave de ses aigus et la crédibilité totale qu’il confère au personnage du consul.
Aude Extrémo, très applaudie au rideau, délivre une Suzuki poignante par la densité de son jeu, mais surtout par la noirceur et la rondeur de son timbre, par la largeur de son ambitus et la saveur douloureuse de ses phrases.
Stefan Pop, un peu droit et malhabile sur scène en fringant officier de marine américain, a pour lui la beauté solaire d’un timbre qui n'a pas la projection spectaculaire des modèles auxquels il renvoie. Cependant, il propose un Pinkerton séduisant par l’étoffe d’un legato opulent, d’un souffle souple et long et par la qualité des aigus toujours bien mixés et amenés.
Elena Stikhina, qui fait suite à Eleonora Buratto dans le rôle-titre, est une habituée du personnage et en offre une vision complexe et élaborée. Traduisant tous les paradoxes de Butterfly avec emphase et délicatesse, elle donne à la jeune geisha des accents de grande sincérité et rend sa folie amoureuse très attachante. L’homogénéité des registres est sans faille, les graves sonores, le médium généreux et les aigus, fort bien canalisés et très riches en harmoniques graves, lui permettent de dessiner un parcours vocal et dramatique de haut vol sans fausse note aucune.
Les saluts sont ponctués par une belle, longue et sonore ovation finale du public parisien qui ne se lasse visiblement pas de cette production.