Puissant Samson et Dalila à Massy
Un véritable effort de cohérence a été fait entre les décors, les costumes et les lumières dans cette mise en scène de Paul-Émile Fourny (en provenance de Metz et reprise par Sylvie Laligne). Pour faciliter la reconnaissance des personnages et des chœurs, Brice Lourenço et Valérian Antoine (costumes) optent pour un code couleur : aux juifs le ton beige et bleu pastel, aux philistins le vert, bleu foncé et noir. Afin de permettre une rapide transformation du décor, Marko Japelj (décors) opte pour l’utilisation de tours mobiles (dont le profil n’est pas sans rappeler celui des maisons du Proche-Orient) se déplaçant sur le plateau grâce à des techniciens cachés à l’intérieur. L’utilisation intelligente des lumières par Patrice Willaume ajoute une dimension poétique à la scénographie comme à l’acte I où la lumière en arrière-scène (côté cour) focalisée par les tours mobiles éclaire le dos du Vieillard Hébreu s’avançant vers l’avant-scène (côté jardin).
Le parti pris de sobriété de la direction d’acteur entraîne des déplacements convenus et beaucoup de statisme. L'approche du livret paraît presque littérale : par exemple, les deux scènes de danse (par le ballet de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole) ont un rôle purement décoratif alors qu'elles auraient pu contribuer à l'action.
Dirigé par le chef belge David Reiland, l’Orchestre national d’Île-de-France produit un son très romantique. Chaque ambiance orchestrale vient appuyer le drame : le timbre chaud et puissant des cordes dans le premier acte soutient parfaitement le ton conquérant de Samson, la volupté des bois dans le second participe autant que la mélopée de Dalila à son envoûtement. Visiblement à l’aise dans ce répertoire, le chef, toujours à l’écoute des chanteurs, fait preuve d’une belle maîtrise de l’accompagnement lyrique.
Dès ses premières notes entonnées (« Arrêtez, ô mes frères ! », acte 1), la puissance de la voix de Jean-Pierre Furlan est saisissante. Mettant son intelligence musicale au service de l’expression, le ténor façonne son chant en fonction des facettes de la personnalité de Samson et des émotions qu’il traverse. Au premier acte, Samson, victorieux, possède une force surhumaine, le chanteur dévoile les pleines capacités de son organe vocal. Puis, incarnant un Samson éperdu d’amour pour Dalila au deuxième acte, il élargit sa palette de nuances, permettant au public d’apprécier encore plus son timbre chaud et sa diction. Quant à la voix de son Samson repenti du troisième acte, elle oscille entre des interventions pianissimo à la limite de l’audible (« Quand tu parlais, je restais sourd », acte III, scène 3) et des passages chantés à pleine voix comme lors de la destruction finale du temple.
Le baryton Alexandre Duhamel incarne la colère aveugle du Grand-Prêtre tant dans son jeu d’acteur que dans son interprétation musicale. Son sens du théâtre et sa bonne diction lui permettent de peindre avec finesse le portrait d’un homme humilié cherchant tous les moyens pour se venger (« Maudit soit le sein de la femme qui lui donna le jour », acte I, scène 3). Fort de sa puissance vocale, il devient terrifiant au troisième acte lorsqu’il prend un malin plaisir à torturer un Samson brisé.
À l’instar de ses deux compagnons de plateau, Wojtek Smilek impressionne par sa maîtrise vocale. Si son jeu d’acteur est quelque peu "classique" tant dans ses déplacements que ses mouvements ou ses postures, et si sa diction laisse à désirer, son vibrato large et son timbre profond lui permettent d’exécuter parfaitement son rôle de "conscience" de Samson en le mettant en garde de ne pas succomber aux charmes de Dalila (acte I, scène 6).
La partition de Camille Saint-Saëns indique que le rôle de Dalila doit être exécuté par une mezzo-soprano, mais il a été en réalité conçu (et donc pensé) pour une contralto dramatique que le compositeur admirait : Pauline Viardot. Il s'agit donc de réunir des capacités vocales se projetant jusque dans les graves de la voix. Vikena Kamenica se confronte à ce défi et bien qu’on devine une belle puissance vocale dès qu'elle atteint les aigus, avec un timbre sensuel, des attaques précises (à défaut d’une diction correcte) ainsi qu’une belle palette de nuances (notamment dans l’acte II), sa voix de poitrine manque de maîtrise, son timbre se noyant la plupart du temps dans la masse orchestrale. De plus, sa Dalila aguicheuse pousse l'image de la femme manipulatrice vers un extrême, appauvrissant ainsi la complexité de son personnage. Même si son interprétation du célèbre duo "Mon cœur s’ouvre à ta voix" (acte II) est très réussie, l’accueil réservé par le public lors des saluts reste mitigé.
Tantôt philistins, tantôt incarnation d’un peuple juif qui souffre (acte I) ou conscience de Samson (acte III), les chœurs écrits par Saint-Saëns exigent une grande implication. C’est visiblement dans cette optique que Nathalie Marmeuse a préparé le Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole (avec Chœurs supplémentaires de l’Opéra de Massy), car dès sa première intervention pianissimo ("Dieu", acte I, scène 1) les ingrédients musicaux sont présents : bonne diction, belle palette de couleurs et de nuances et surtout bel équilibre des voix. Malheureusement, des problèmes de justesse et de rythme compliquent à plusieurs reprises la tâche du chef d’orchestre.
Il est de ces œuvres qui lorsqu’elles se terminent semblent nécessiter un moment de recueillement. La lente agonie de Samson magnifiée par la musique de Saint-Saëns est presque insupportable à regarder, le public assistant impuissant à sa torture. Il ne se défend pas, il prie encore et encore Dieu de lui rendre un instant sa force surhumaine afin qu’il emmène ses bourreaux dans sa chute. Aux dernières notes de l’orchestre succèdent des applaudissements d’abord timides, avant que l’apparition sur scène des artistes ne réveille la salle, déclenchant applaudissements nourris et chaleureux.