Deux entrées au répertoire sous le signe de la diversité pour l’Orchestre de Paris
En première partie, la Grande ouverture des francs-juges d’Hector Berlioz (1826) mérite son qualificatif. Comme son nom l’indique, ce morceau devait ouvrir un opéra qui n’aboutira jamais. Berlioz réutilisera dans des oeuvres ultérieures ce matériau musical qui se caractérise par son foisonnement orchestral. Dès les premières mesures, un fort contraste oppose les cordes graves aux vents aigus, avant que ne se déroulent de languissantes phrases musicales. Les idées sont tranchées, débordantes de vie, et le rythme passe sans cesse de la cavalcade effrénée à la mélancolie appuyée. On entend ci et là des échos d’orient, qui évoquent les peintures contemporaines de Delacroix, reflet sans doute des épopées conquérantes qu’entreprenait alors la monarchie française. La conduite de Thomas Adès est extrêmement précise. Minutieux, il soigne les effets voulus par le compositeur, sans minimiser l’emphase. Le chef d’orchestre attise la batterie de cuivres, érigés en juges de paix au milieu d’un orchestre très réactif. Thomas Adès semble prendre un grand plaisir à suivre les mélodies qui passent des violons et des altos aux flûtes. Par moments, faisant penser aux ouvertures de Rossini (Guillaume Tell par exemple), celle de Berlioz se distingue en ce qu’elle est moins clairement articulée. Le fil de la narration se perd dans ces éclats musicaux, et la tonitruance des dernières notes ressemble davantage à la parade d’une armée fanfaronnante qu’à l’appel du tribunal qu’évoque le titre de l’œuvre.
#CONCERT De l'infiniment petit à l'infiniment grand. Polaris, composé et dirigé par @Thomas_ades ce soir et demain à la @philharmonie ! @AskonasHolt @francemusique pic.twitter.com/6zPFBwk5WU
— Orchestre de Paris (@OrchestreParis) 7 novembre 2018
En deuxième partie, Thomas Adès conduit l'une de ses compositions : Polaris - Voyage pour orchestre (2010). Solennel comme l’ouverture de Berlioz, Polaris a néanmoins quelque chose de plus réflexif, avec une construction musicale fondée sur des répétitions qui s’aimantent et s’emboîtent. La direction de Thomas Adès est ici différente. Toujours très à l’aise, moins pointilliste néanmoins, il cherche à insuffler comme un flottement dans l’orchestre. La pâte sonore est hypnotique : une harpe reprend avec délicatesse la berceuse mécanique du piano et, tandis que les violons brodent une matière stellaire, les vents font de longues élancées, comme des valses en apesanteur, parfois dissonantes. Les archets se pressent, les flûtes tourbillonnent, stridentes, lors d’ascensions qui s’effondrent dans un tonnerre de tambours. Le son forestier des xylophones rompt avec la froideur parfois raide de la partition.
200 chanteurs du Chœur de l'Orchestre de Paris, 4 solistes dont @spconnolly, Mark Padmore, Michelle Bradley et Jon Relyea, pour "A Child of Our Time" de Michael #Tippett. Dernière à la @philharmonie, ce soir, sous la baguette de @Thomas_ades ! @ch_OrchParis @AskonasHolt pic.twitter.com/XJFyDhQXca
— Orchestre de Paris (@OrchestreParis) 8 novembre 2018
Enfin, la troisième partie du concert est consacrée à l’oratorio A child of our time de Michael Tippett (1939-1945). Une place de choix est ici réservée à un chœur d’environ cent cinquante chanteurs, ici composé des Chœurs de l’Orchestre de Paris et des Jeunes de l’Orchestre de Paris. Cette œuvre en trois parties, composée pendant la deuxième guerre mondiale, dénonce le sort réservé aux Juifs en Europe. La trame est entremêlée de Spirituals afro-américains, mais l’arrangement pour orchestre leur fait perdre en puissance et en spontanéité. La partition alterne entre de virulentes condamnations chorales qui se muent en prières, et des passages plus intimistes, où les instruments expriment la tristesse du compositeur. Moins contrastée que les deux précédentes œuvres, A child of our time souffre d’un certain monolithisme. La conduite de Thomas Adès redevient, comme pour Berlioz, précise, presque chirurgicale, malgré un chœur exubérant. Mais cette conduite ne parvient pas à donner du souffle à cette pièce qui, par vœu de clarté, manque d’ambiguïté. La musique est sombre, sans être émouvante. Par moments, des notes lugubres résonnent, avec d’évidents accents wagnériens.
Parmi les chanteurs, de qualité, la prestation de la soprano Michelle Bradley, lumineuse, ample et généreuse, emplit la salle. Elle est particulièrement émouvante lorsqu'elle chante le rôle d'une mère dans la deuxième partie. Sa voix transcende sans peine le chœur et l'orchestre. Le ténor Mark Padmore chante avec une intensité certaine. Bien qu’il n’ait pas beaucoup de coffre, il apporte de la poigne à cet oratorio. Plus nerveux, John Relyea dispose d'un timbre original, relativement froid et sa voix est couverte d'un léger nuage, comme s'il chantait avec un accent. Cet atout aurait pu être une force dans un univers sonore tel que celui de Polaris mais dans le rôle du narrateur ici, il peine à animer le drame qui est raconté. Enfin, la mezzo-soprano Sarah Connolly dispose d'une bonne technique, son souffle est long et son chant incisif, mais la relative monotonie de la partition ne lui offre pas d'occasion pour véritablement s'illustrer.