Michael Spyres, mélodiste enivrant à l’Opéra de Bordeaux
Détendu et souriant, Michael Spyres a souhaité en ouverture de soirée s’adresser directement au public présent, en français puis en anglais, afin d’évoquer les choix opérés concernant les mélodies et Lieder composant son programme intitulé Foreign Affairs, Affaires étrangères. La ligne directrice avouée en est très simplement l’amour et le plaisir. Au fil de l'heure et demie du récital -articulé en deux parties distinctes mais donné sans entracte-, Michael Spyres tient toutes ses promesses, abordant avec une aisance remarquable et de façon chronologique, un répertoire mélodique allant de Joseph Haydn (O Tuneful Voice, toute de déploration contenue) à Benjamin Britten, en passant par Hector Berlioz, Giuseppe Verdi, mais aussi Reynaldo Hahn et Friedrich Nietzsche (Gebet an das Leben, Prière à la vie de 1882 sur un texte de l’aimée, Lou Andreas Salomé).
Avec Michael Spyres, la musique ne connait pas de frontières. En musicien avide, curieux et sensible à tous les styles, à toutes les époques et les cultures, il franchit les limites imposées et se risque sur un terrain qu’il a préalablement admirablement préparé, franchissant l’écueil des langues avec souveraineté et panache, et surtout travail ! Pour atteindre son but, il adapte son matériau vocal et expressif à chaque morceau, par essence fort différent l’un de l’autre. Il intensifie les colorations, ose élargir la voix ou la rendre presque impalpable, sans pour autant que les notes les plus aiguës ne soient affectées le moins du monde.
Alternant en première partie les mélodies presque opératiques comme Rastlose Liebe de Franz Schubert ou même Roméo de Gioachino Rossini, chanté avec une passion presque dévorante qui le laisse éperdu, Michael Spyres aborde aussi des horizons plus intensément poétiques comme Adelaïde de Beethoven (mélodie qui chez certains interprètes tourne rapidement sur elle-même par la répétition du prénom Adelaïde) ou La Ricordanza de Vincenzo Bellini. L’Esule de Verdi laisse présager le ténor des opéras des jeunes années du compositeur italien qu’il pourrait être. Et avec Le Pêcheur d’Hector Berlioz, la compréhension et l’attitude généreuse de l’interprète vis-à-vis de cette esthétique particulière culminent.
Après une courte pause, Michael Spyres révèle de sombres couleurs barytonnales dans la mélodie de Carl Loewe, Tom der Reimer, avant Liszt et Enfant, si j’étais roi puis surtout Tchaïkovski et son ardente Sérénade de Don Juan. Circus Band de Charles Ives amène le ténor sur d’autres chemins plus rythmés, tandis qu'À Chloris de Reynaldo Hahn luit d'une clarté et sensibilité à fleur de peau. Stefano Donaudy, O del mio amato ben, Benjamin Britten, Down by The Sally Gardens, mélodie élégiaque du retour aux sources et All the Things You Are du prolifique compositeur américain Jerome Kern en lien avec Oscar Peterson, viennent conclure une soirée pleine de sensations et surtout débordante d’authenticité.
La complicité artistique du chanteur avec son pianiste Mathieu Pordoy apparaît, durant toute la durée d’un programme fort diversifié, patente, intime car inscrite fondamentalement dans des mêmes gênes. En bis, la facétieuse mélodie Bonjour ma belle de Guy Eden, immortalisée au disque par Mario Lanza, un chant traditionnel du Missouri Shenandoah (La Belle fille des étoiles) donné a cappella, Serenata du compositeur et mandoliniste italien C.A Bracco sur des paroles d’Enrico Caruso, puis Foreign Affairs tiré de l’album éponyme de 1977 du bouleversant Tom Waits.
C’est debout que le public tient à remercier longuement et chaleureusement les deux artistes.