La Belle de Cadix : fiesta surannée à l’Odéon de Marseille
Si les qualités musicales de nombreuses opérettes ne sont plus à démontrer, le format est globalement en déclin depuis le début des années 60 : à tel point que l’on associe souvent à ces spectacles une imagerie désuète que ne connaissent pas les comédies musicales contemporaines. À Marseille, où demeure l’héritage de l’opérette marseillaise portée par Vincent Scotto, l’Odéon fait figure de sanctuaire du genre, en programmant pas moins de huit œuvres cette saison, à commencer par La Belle de Cadix.
La salle est pleine et le public, constitué de fidèles habitués, n’a pas perdu de son enthousiasme : l’entrée de chaque interprète est accompagnée d’applaudissements complices, les airs les plus connus sont gaiement fredonnés, et le salut final s’accompagne de pas moins de quatre bis. La proximité évidente avec le public donne l’occasion aux interprètes de briser le quatrième mur le temps d’un aparté hors livret lors des dialogues parlés, l’une des trop rares touches de fantaisie de la mise en scène.
Celle-ci échoit à Jack Gervais, fidèle de l’Odéon. Elle est de facture (très) classique : décors qu’on devine réalisés à l’économie mais qui font leur effet, éclatants costumes andalous bariolés, et intermèdes de flamenco à chaque changement de tableau. Le spectacle mélange donc danse, musique, théâtre de boulevard et acrobaties de music-hall, notamment lors des échanges contorsionnistes entre Manillon (Claude Deschamps) et Pépa (Julie Morgane).
Le dispositif fonctionne car il s’inscrit dans la continuité du genre : La belle de Cadix a conservé son charme très daté. Toutefois, on peut regretter un manque d’audace, d’ironie ou de remise au goût du jour des archaïsmes sociaux et moraux du livret. Ainsi certains choix questionnent, comme celui de faire parler Estelle Danière (Miss Hampton) avec un faux accent américain alors que tout le casting espagnol s’exprime dans un français parfait, ou d’utiliser le corps des femmes, et en particulier celui de Pépa, comme ressort comique. C’est d’autant plus dommage que la vitalité et la malice de Julie Morgane font mouche à chacune de ses apparitions sur scène.
Si, vocalement, la plupart des personnages secondaires évoluent dans un répertoire de music-hall, avec de nombreux passages parlés au sein même des airs pour combler les manquements de tessiture, ce n’est pas le cas de celui de Ramirès (le baryton Gilen Goicoechea), qui ne chante qu’un air, « Le Cœur des Femmes », mais avec une très belle projection, une diction impeccable, beaucoup d’émotion dans la voix et les applaudissements les plus nourris de la représentation.
Caroline Géa (Maria-Luisa) est une habituée de l’Odéon et de Francis Lopez : grâce à sa connaissance du flamenco, elle semble pouvoir jouer Maria-Luisa les yeux fermés, et se montre très à l’aise dans les passages dramatiques. Sa voix commence la représentation avec un peu de réserve au niveau des aigus, mais monte en puissance et développe de beaux graves.
Dans le rôle principal de Carlos, le ténor lyrique Jérémy Duffau enchaîne sans accroc les tubes (« La belle de Cadix », « La Fiesta Bohémienne », « Maria-Luisa »). La bascule des aigus très en puissance au falsetto surprend un peu sur « Le Clocher du Village », mais le chanteur déploie partout ailleurs beaucoup d’énergie et une belle expressivité. Il est moins à l’aise dans le jeu, mais son rôle, certainement le plus premier degré du livret, ne lui donne guère la liberté de briller.
Enfin, le Chœur Phocéen, qui danse autant qu’il chante, participe avec brio à la bonne humeur ambiante en compagnie de l’Orchestre de l’Odéon dirigé par Bruno Conti. Sans oublier les quatre danseurs de flamenco dirigés par Felipe Calvarro, dont les numéros joliment chorégraphiés apportent la touche d’exotisme requise par l’esprit de l’œuvre.