La Fanciulla del West : Jonas Kaufmann dans un western-opéra en direct du Met
Créé en 1910 au sein même de cette salle new-yorkaise, l’opéra s’inspire d’une nouvelle de David Belasco, The Girl of the Golden West. L’action se déroule en Californie pendant la ruée vers l’or et le livret, admirablement écrit, aborde les thèmes traditionnels de l’amour et de la jalousie, mais aussi ceux du mal du pays, du jeu et du pardon. Les thèmes de cette musique novatrice prennent leur dimension cinématographique sur grand écran. La mise en scène de Giancarlo del Monaco date de 1991, mais ne souffre d’aucun manque de fraîcheur puisqu’elle reprend les codes classiques du genre western comme le cinéma l’a si souvent montré. Très équilibrée et toujours juste, elle ne tombe dans aucun excès.
Après une brève ouverture, le rideau s’ouvre sur le décor du saloon dans lequel travaille Minnie. L’attention portée aux détails, rendus parfaitement lisibles par la captation frappe d’entrée de jeu. Le fond de scène s’ouvre intelligemment sur un balcon, où l’on peut voir passer chevaux, diligence et postiers. L’implication des protagonistes est impressionnante, les scènes de bagarre sont réglées au millimètre et le réalisme est saisissant. Le début de ce premier acte est d’abord exclusivement masculin, chacun des cow-boys demandant à boire, évoquant sa famille ou tentant de soudoyer le tenancier pour obtenir les faveurs de Minnie. Laquelle fait son entrée un peu plus tard, accompagnée d’un thème reconnaissable ponctuant toute l’œuvre. Courtisée par le shérif Jack Rance, elle tombe finalement sous le charme d’un étranger, Dick Johnson. Une valse plus tard, tous les hommes partent à la poursuite de Ramerrez, un bandit aperçu dans les environs.
Le couple d’amoureux se retrouve dans la maisonnette de Minnie au deuxième acte, après que le public ait appris que Johnson est en réalité Ramerrez. Le décor se partage ici entre intérieur et extérieur, entre la demeure de Minnie et l’hiver du dehors. L’occasion de souligner les lumières magnifiques de Gil Wechsler qui éclairent visages et costumes de façon très subtile. Contrastant avec l’effusion de personnages de l’acte I, cette deuxième partie est celle des sentiments et de l’intimité. Alors que Johnson est démasqué, Minnie le sauve en pariant son destin au poker avec Rance, avant de remporter la partie en trichant. L’intensité des interprètes et la qualité de leur jeu d’acteurs se révèlent ici véritablement et offrent un superbe moment d’opéra.
Beaucoup plus court, le troisième acte se joue dans une rue très typique de l’imagerie du western, maisons de bois, sol couvert de feuilles et fond perdu de montagnes. La potence suspendue sur un balcon et destinée à pendre Dick Johnson ne sera heureusement pas utilisée grâce à l’intervention de Minnie. Sur les derniers « Mai più » du chœur masculin, les deux amoureux quittent la scène et la Californie.
Avec une énergie certaine qu’il communique à ses musiciens, Marco Armiliato porte de bout en bout son orchestre, dans les passages les plus tendres de la partition comme dans les tutti fortississimo voulus par Puccini, où l’orchestre semble toutefois couvrir la voix des chanteurs à quelques reprises.
L’opéra foisonne de seconds rôles masculins très touchants. On retiendra les prestations d'Oren Gradus en Jake Wallace et Matthew Rose en Ashby, ainsi que les rôles plus importants de Nick, campé par Carlo Bosi et Sonora, interprété par Michael Todd Simpson. Tous se révèlent d’une grande justesse vocale et dramatique. Mais l’action est particulièrement centrée sur le trio que forment Minnie, Dick Johnson et Jack Rance, respectivement incarnés par Eva-Maria Westbroek, Jonas Kaufmann et Zeljko Lucic.
Ce dernier impressionne par une présence à la fois vocale et scénique. Zeljko Lucic joue à la perfection ce rôle de shérif jaloux et maladroit, qui ne trouve pas le chemin du cœur de Minnie. Sa voix profonde aide à bâtir un personnage sombre et inquiétant. Sa longueur de souffle et ses aigus solides finissent de convaincre le public new-yorkais, qui se lève déjà à son arrivée pendant les saluts.
Jonas Kaufmann, toujours très attendu, se trouve parfaitement à l’aise dans son costume noir de Dick Johnson, à pied comme à cheval. La voix est puissante et émise avec facilité, d’autant que son interprétation scénique est plus que convaincante. À la fin de l’unique air du troisième acte « Ch’ella mi creda libero e lontano », passage le plus célèbre de l’opéra, le public ne peut retenir ses applaudissements, recouvrant brièvement une ou deux mesures de l’orchestre.
Confiant à l’entracte que La Fanciulla est son opéra préféré, il devient évident que le rôle de Minnie convient parfaitement à Eva-Maria Westbroek. Dès son entrée dans le saloon à l’acte I, fusil à la main, son charisme et sa voix font mouche. Mais c’est véritablement dans le deuxième acte qu’elle montre toute la palette de son jeu. Touchante, quand elle donne son premier baiser, jalouse, puis repentie, pour enfin sauver Johnson dans la fabuleuse scène du poker. Si quelques aigus sont parfois un peu tendus, c’est à mettre sur le compte de l’intensité avec laquelle elle incarne ce personnage de femme forte et respectée.
C’est donc une véritable alchimie qui opère durant cette soirée, réunissant une belle mise en scène, un plateau vocal irréprochable et une direction d’orchestre excellente, dans cette œuvre atypique de Puccini.