L’Elixir d’amour de Pelly, réjouissance théâtrale à Bastille
L’Elixir d’amour de Donizetti présenté à Bastille par l’Opéra de Paris reflète bien la patte artistique de Laurent Pelly : un mélange de fantaisie et de poésie, un grand soin du détail théâtral, y compris dans le jeu en arrière-plan, un travail sur le chœur, dont les interventions sont chorégraphiées, mais aussi des décors (signés Chantal Thomas) originaux et immédiatement identifiables, qui deviennent « des outils pour raconter », comme il l’expliquait dans son interview. Il peut compter pour mettre en valeur son humour sur des chanteurs aux grandes qualités théâtrales, notamment son duo principal, manifestement lié par une belle complicité.
24 heures après avoir chanté la dernière des neuf représentations des Huguenots (auxquels elle glisse une référence en proposant la « Reine Margot » lorsque Dulcamara cherche le nom d’Isolde), qui l’ont vu triompher (lire notre compte-rendu) en remplacement de Diana Damrau, la piquante Lisette Oropesa enchaîne avec la Première de l’Elixir d’amour, qu’elle a répété en parallèle (comme elle nous l’indiquait en interview). Pour autant, sa voix garde sa fraîcheur délicate dans le médium et sa finesse acidulée dans l’aigu. Son vibrato rapide et fin se module selon les intentions du personnage, accompagnant ainsi les nuances du chant. Elle garde une grande énergie sur scène, ne ménageant pas ses efforts, en femme volage et capricieuse, mais touchante dans le dénouement.
Le théâtre coule dans les veines de Vittorio Grigolo : non content de ses multiples facéties et de ses déhanchés endiablés dans le rôle de Nemorino (auquel il prend un vif plaisir), il poursuit le spectacle durant les saluts, à genoux, les bras en croix, haranguant le public pour réclamer plus d’applaudissements et affichant son insatisfaction devant un baisser de rideau qu’il juge trop rapide, le potentiel de vivats n’ayant pas été totalement épuisé. Le public est en effet conquis par son timbre chaud au doux vibrato, vaillant dans tous les registres, du grave corsé à l’aigu ensoleillé. Parfait dans la projection et la gestion du souffle, il manque toutefois parfois de nuance pour toucher vraiment le public.
En Dulcamara, Gabriele Viviani prend lui aussi un plaisir manifeste, son sourire carnassier se reflétant sur le visage des spectateurs. Sa couverture vocale lui permet d’émettre une voix soyeuse, quoiqu’épicée parfois d’un zeste d’ironie, et manquant de projection (notamment dans le grave). Il assume avec une parfaite articulation le débit de sa partie, notamment dans son duo avec Nemorino, pris à un train d’enfer. Étienne Dupuis, futur Don Juan à Garnier (réservations ici), est un Belcore à femmes, au phrasé acéré. Sa voix claire offre un timbre lumineux, mais manque de projection dans les ensembles, créant parfois de réels déséquilibres. Son vibrato, charmant, est une sinusoïde profonde et régulière qui assied sa ligne de chant. Enfin, la jeune Adriana Gonzalez, issue de l’Académie de l’Opéra de Paris, crée une Giannetta volontaire, aux aigus fruités et bien tenus, sur un rond vibrato.
Tout avait mal commencé pour Giacomo Sagripanti, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, l’attaque de la première note étant molle et imprécise. Il prend pourtant rapidement le rythme d’une œuvre dans laquelle les « tubes » s’enchaînent, y trouvant même de beaux moments de poésie : les sanglots longs du hautbois qui mêle ses volutes aux rires de la flûte, ou encore la clarinette qui accompagne la « furtiva lacrima » de Grigolo. Les Chœurs, bien en place, trouvent un bel équilibre dans leurs nombreuses interventions.
Dans le public, nombreux sont ceux qui avaient déjà vu la mise en scène lors des précédentes reprises, preuve que cette production ne vieillit pas : elle s'inscrit parmi les nombreuses mises en scène de Laurent Pelly devenues des classiques.
Si vous souhaitez la (re)voir, les réservations sont encore ouvertes ici.