ADN Baroque : entre ombre et lumière à l’Athénée
Le spectacle est découpé en trois actes (Les Perles de Lumière, Les Perles d’Ombres et Les Perles de Nuit) et dresse le portrait de l’âme humaine au travers de 21 pièces associées à 21 états émotionnels. Les codes et rôles habituels sont bousculés et détournés pour proposer une expérience nouvelle qui, loin de nier la musique au profit d’un ego, propose une relecture des classiques baroques qui sont intégrés dans un ensemble cohérent. L’histoire ainsi contée bénéficie de l’implication totale, parfois viscérale, des artistes et d’une scénographie sobre, élégante, entre ombre et lumière.
Guillaume Vincent n’est pas seulement pianiste, mais également comédien muet et danseur pour l’occasion. C’est lui qui ouvre la soirée, seul, assis en avant scène, lisant un livre duquel irradie une lumière chaude avant de rejoindre son piano pour commencer à jouer, dans la pénombre, la Sarabande de Haendel (Mouvement IV de la Suite n°4 pour clavecin) avec un doigté d’une bouleversante délicatesse. Il se révèle par la suite être un accompagnateur précautionneux et attentif, au jeu toujours très nuancé et fait montre de sa virtuosité en plusieurs occasions, notamment pendant son interprétation rapide de la Sonate K141 de Scarlatti au début de l’Acte 2.
Théophile Alexandre n’hésite pas non plus à se faire pianiste. D’abord pendant le premier air qu’il interprète, "Lascia Ch’io Pianga" (Laissez-moi pleurer, extrait du Rinaldo de Haendel et renommé ici La liberté) où il joue la mélodie pendant quelques mesures aux côtés de son pianiste. À la fin du concert, il prend la place de Guillaume Vincent au piano, ce dernier se plaçant en avant-scène, assis et dansant d’une gestuelle lente. Le jeune contre-ténor est également danseur de formation et propose ici avec son corps des tableaux et chorégraphies dont l’énergie et la manière de s’intégrer à la musique sont bien variées. Il est tantôt agité, courant et sautillant frénétiquement sur toute la scène, comme une rock star, en chantant "La tua Fierezza" (Votre fierté extrait du Jules César de Haendel), tantôt digne avec une gestuelle de toréador lorsqu’il danse sur Médée (troisième livre de la Pièce pour Clavecin de Durphly, renommé ici La Vengeance) , parfois couché sur le sol ou bien statique comme au début d'"Alto Giove" (Haut Jupiter, extrait du Polifemo de Porpora, renommé L’Espoir) où il est assis sur le piano.
La danse limite nécessairement le chant et inversement. Pendant l’air de Judith "Agitata infido flatu" (Agitée par le souffle inconstant du vent, extrait de la Juditha triumphans de Vivaldi), la danse se veut rigide et la tension est remarquable dans son corps, ce qui trouble d’autant plus la respiration de Théophile Alexandre, en outre essoufflé par l’effort. Sa voix s’en trouve moins projetée, moins intense et moins ample. Il en est ainsi pour tous les airs où l’énergie et l’intention est prioritairement déployée dans le jeu corporel au détriment de la voix, aussi La tua fierezza (Haendel) manque d’une certaine implication vocale.
Les performances sont donc irrégulières : sur "Saro Qual Vento" (Je serai ce vent, extrait d'Alessandro de Haendel, renommé La Manipulation) les vocalises sont imprécises surtout au début de l’air où elles s’apparentent plus à une succession de glissandos, et les trilles sont plus devinés qu’entendus. En revanche le contre-ténor déploie un beau legato soutenu dans "Erbarme dich" (Pitié, extrait de La Passion selon Saint Matthieu de J.S. Bach).
Théophile Alexandre a cependant l’aigu facile et sait pallier le manque d’épaisseur de sa voix dans ses bas médiums et graves en gardant un timbre clair, riche en harmoniques aiguës, haut placé, qui suffit, notamment dans "Strike the viol" (Frottez la viole, extrait de "Come ye sons of art" de Purcell), à le rendre audible sur l’ensemble de sa tessiture.
Son interprétation de "l’Air du génie du froid" (Le Roi Arthur, Purcell) est sans doute la plus juste en tout point. Il parvient à incarner une intense détresse et aborde chaque note piquée avec précision, justesse et nuance.
La soprano Marion Tassou fait également quelques apparitions au cours de la soirée. Si sa voix est quelque peu engorgée et son articulation de l’anglais perfectible dans "Si l’amour est une douce passion" (La Reine des Fées de Purcell), elle offre toutefois un beau duo avec Théophile Alexandre sur "Placidetti zeffiretti" (Polifemo de Porpora).
ADN Baroque est une expérience intense portée par deux artistes dévoués à la musique qui, plutôt que de proposer un récital traditionnel, poussent le processus créatif en parvenant à fabriquer un "opéra-like" baroque où les pièces sont organisées logiquement les unes par rapport aux autres en actes cohérents desquels naît un nouveau propos explicité par la voix, le jeu, le mime, la danse et les mots.