Madrigaux intimes par Les Arts Flo à la Philharmonie de Paris
Une voix s’élève, légère, esquisse un motif. Une autre lui emboîte le pas, puis une autre encore, emplissant progressivement l’espace de l’amphithéâtre de la Philharmonie de Paris. Le motet Ne reminiscaris Domine de Carlo Gesualdo installe ainsi l’auditoire dans l’atmosphère de l’Italie renaissante. Les Solistes des Arts Florissants (Miriam Allan, Hannah Morrison, Mélodie Ruvio, Sean Clayton, Edward Grint, sous la direction de Paul Agnew) se proposent de parcourir l’ensemble des madrigaux du prince italien lors d’un cycle de concerts qui débute en cette soirée avec le premier livre. Et pour introduire l’ouvrage, les six interprètes, réunis en arc de cercle (debout en premier lieu, puis assis suite à la passagère faiblesse d’une chanteuse), proposent une série de pièces vocales contemporaines du compositeur et de ses inspirateurs (Claudio Monteverdi, mais aussi Luzzasco Luzzaschi, Luca Marenzio et Benedetto Pallavicino).
Exécutant l’ensemble des ouvrages a cappella, les six solistes se montrent complices et particulièrement habiles à incarner les sentiments et le drame qui se jouent dans les différentes pièces, motets comme madrigaux. Cette incarnation passe par la voix, d’où émane une théâtralité aux mille facettes. La fougue, l’emportement, l’ivresse amoureuse, mais aussi la plus grande douceur et les soupirs les plus caressants (le sos-piro légèrement retenu, comme un souffle légèrement coupé). L’attitude des interprètes en est le corollaire : les visages sont très expressifs, les pupitres s’échangent des regards, se rassemblent pour attaquer d’une même voix une ligne, se sourient. Le Tirsi morir volea, joué dans trois versions différentes (celles de Marenzio, Pallavicino et Gesualdo), est à ce titre exemplaire, l’histoire du personnage appelant une dramaturgie dont les interprètes rendent compte avec un bel investissement. Contrastées en caractère, les pièces musicales proposées au programme sont balancées entre motifs imitatifs et épisodes homorythmiques. Aussi requièrent-elles une grande précision dans l’exécution. Les interprètes relèvent le défi avec brio, que ce soit vis-à-vis de l’articulation (les mots sont chéris, pesés avec une fine attention, dévoilant un discours d’une grande clarté), de la coordination de l’ensemble (quelques défauts de justesse n’entravent pas la qualité du spectacle), mais aussi des nuances dont ils offrent une riche palette (l’intimiste se faisant dramatique puis d’une douceur à fleur de peau).
La soprano Hannah Morrison montre des lignes d’une grande limpidité, voix céleste, presque juvénile. Au sein de l’effectif, elle se fait plus discrète, mais apporte de belles couleurs à l’ensemble, avec des lignes legato souveraines. À ses côtés, Miriam Allan montre un timbre plus affirmé, avec des aigus aiguisés, rapidement dramatiques et vibrato allant, effet incandescent. Ouverte et projetant avec aisance, la voix se dote également de doux piani (E più?). Mélodie Ruvio offre un timbre délicieusement ombragé avec un beau grain de voix. Homogène sur toute la tessiture et d’une grande richesse chromatique, elle articule intensité et grâce dans l’élocution avec un habile contrôle des nuances.
Chez les hommes, Paul Agnew assure une direction minimaliste, des mouvements économes accompagnant les départs et les fins des pièces. Claire et ronde, la voix se fait douceur suave avec un dolcissimo dans un souffle murmuré (Baci soavi, e cari), puis cherche des aigus lisses et cristallins à l’évocation du ciel (Baci affamati, e ‘ngordi). Poussée, la voix est richement timbrée. À ses côtés, le ténor Sean Clayton déploie un timbre chaleureux aux aigus brillants et aux médiums veloutés, dont la couleur se prête justement, dans les Madrigaux de Gesualdo, à la posture du poète. Avec Paul Agnew, ils forment un duo de ténors captivant, dont les singularités se complètent bien. Très présent dans l’ensemble, le baryton-basse Edward Grint soutient le sextuor d’une voix puissante et bien projetée, dont les graves charpentés et riches en harmoniques viennent offrir des fondamentales magistrales en fin de pièce (prédominant parfois sur l’ensemble). Montant dans un registre médium, la voix est insufflée de lumière jusqu’à se mêler à l’harmonie des autres voix pour se faire souple et chantante.
Un concert qui augure de beaux moments de musique lors des prochains rendez-vous autour des Madrigaux de Carlo Gesualdo à la Philharmonie de Paris !