Prises de rôles dans le Pelléas et Mélisande du Comique
Depuis l’annonce de ce concert en septembre 2017, les mélomanes avertis l’attendaient avec curiosité, intrigués par cette prise de rôle de l’un des plus fins connaisseurs et serviteurs de l’œuvre de Debussy. Le plus grand public, en revanche, s’est laissé rebuter par l’absence d’orchestre et de mise en scène : c’est donc devant une salle clairsemée que Stéphane Degout s’avance, comme Golaud dans sa forêt, pour dévoiler sa première interprétation du sombre mais fascinant personnage antagoniste de Pelléas et Mélisande. Le baryton parvient parfaitement à assombrir son timbre pour le démarquer de son propre Pelléas, mais aussi (et surtout) de celui de Jean-Christophe Lanièce, dont la prise de rôle se révèle être la seconde attraction de la soirée. En revanche, la candeur et la douceur de son phrasé correspondraient mieux au rôle-titre qu'à Golaud : sans doute, l’absence de mise en scène ou de mise en espace (qui eut nécessité une interprétation sans partition, à laquelle le baryton était encore attaché) ne l’aura pas aidé à trouver la noirceur et le fiel qui en font un Hamlet de référence (à voir in loco en décembre : réservations ici). Ainsi, la violence des duos avec Yniold à l’acte III, puis avec Mélisande aux actes IV et V, se perd-elle, emportant en partie l’intensité dramatique du livret. Ce constat est bien sûr renforcé par l’absence de l’orchestre : aussi précis et impliqué que soit Martin Surot au piano, il ne peut dans ces scènes remplacer complètement le génie orchestral de Debussy.
Golaud a donc cette fois Lanièce pour demi-frère. Le jeune baryton (Marcel dans Bohème, notre jeunesse la saison dernière dans la même salle) dispose d’un timbre extrêmement clair et joliment couvert, simplement teinté, par moments, de touches sombres pointillistes. Son vibrato discret reste bien défini, y compris dans des graves maîtrisés. Surtout, sa prosodie est à la fois musicale et théâtrale, rehaussée d’un legato soigné. Il lui faudra à présent gagner en endurance, ses aigus fatigant dans ses dernières interventions.
Amaya Dominguez garde sa partition fermée devant elle pour sa prise du rôle de Mélisande, ce qui lui permet une grande expressivité théâtrale. Sa voix large et lyrique, riche en couleurs, est généreusement vibrée et peu nuancée, s’éloignant en cela des interprétations habituelles du rôle, des voix plus flûtées souvent choisies pour incarner l’innocence du personnage. En Geneviève, Majdouline Zerari offre une voix tapissée du velours royal, aux aigus ronds et au tendre piano. Très esthétique en version concert, la voix manquerait du vécu nécessaire au réalisme en version mise en scène. Thomas Dear, habitué des rôles du Berger et du Médecin, incarne cette fois Arkel avec un beau timbre, qui s’épanouit particulièrement dans le grave. Quelques défauts de justesse entachent la stabilité de son phrasé, mais en rien sa diction extrêmement claire. Déjà fin connaisseur de l’œuvre, il ne jette que de rares regards vers sa partition numérique, disponible sur sa tablette. En Médecin, Nathanaël Tavernier présente une magnifique basse, à l’immense profondeur et aux harmoniques luxuriantes. Dans le rôle d’Yniold, le jeune Micha Calvez-Richer offre toutes les qualités (pureté de la voix, candeur, réalisme) et les défauts (approximations de justesse, intentions théâtrales en retrait) que l’on peut attendre d’un très bon maîtrisien, une grande maîtrise rythmique en plus.
Le silence se prolonge avant les premiers applaudissements : le public s’en retourne, la curiosité assouvie, après avoir passé un beau moment de musique.