Te Deum et 2ème Symphonie de Bruckner à Bruxelles, véloce théologie
« Quand le bon Dieu me rappellera à lui et me demandera : “Qu’as-tu fait des talents que je t’ai donnés ?”, je lui montrerai la partition de mon Te Deum, et il me jugera avec indulgence. »
Le Te Deum et la Deuxième Symphonie, la fierté de sa carrière et l'œuvre si difficile à faire naître sont présentées en diptyque pour témoigner de la quête insatiable des proportions et de la conception torturée de l'artiste. Audacieux, surprenant, à la limite de la surcharge auditive, le schéma brucknerien se savoure avec une temporalité bien particulière : le thème musical évolue constamment, jusqu’à sa dissolution, puis sa réapparition par transformation. Un « déjà-vu » musical qui pourtant semble faire perdre les repères. Les pièces de Bruckner, modifiées, tronquées, sont à ce point difficiles à jouer qu'Hartmut Haenchen conseille avec humour de les considérer comme celles d’un artiste MTV « une succession de pièces courtes, indépendantes les unes avec les autres, sauf que ces pièces reviennent après avoir continué d’évoluer dans l’intervalle, alors que nous ne l’entendions pas. »
La Deuxième Symphonie est ainsi devenue une sorte d'œuvre modulable et participative, tant elle a été révisée et reconfigurée par Bruckner lui-même puis par d'autres. Aussi le travail principal d’Hartmut Haenchen aura-t-il été de revenir à la substantifique moelle de cet opus, pour en extraire la force du matériau orchestral, dans sa grande complexité mais avec sa profondeur thématique. La trentaine de violons, les dix altos, dix violoncelles et six contrebasses sont d’une puissance et vélocité à couper le souffle. Les airs offrent leurs déroutants envoûtements tout en finesses.
La deuxième partie du programme peut alors s’offrir avec un Te Deum magistral. Relativement courte (environ 25 minutes), l’œuvre vocale sacrée témoigne de la foi de l’auteur, de sa ferveur et d’une redoutable louange humaine. Les voix prennent alors les rôles principaux : les quatre solistes et soixante choristes de la maison, assourdissant de puissance, sont au service d’une composition aiguisée, redoutable et véloce dont les silences deviennent des armes. Le résultat guerrier dresse un mur vocal d’une toute puissance que viennent percer les voix des solistes, répartis avec aplomb à l’avant de la scène.
La soprano, que le public bruxellois a pu voir dernièrement en première Dame dans la superproduction de Romeo Castellucci (La Flûte enchantée) revient ici en première ligne, confiante et élégante : la voix de Tineke van Ingelgem est pure, faite d’aigus fins aux harmoniques rondes, piquées presque acidulées. Saillante, elle chante avec prouesse des notes qui semblent se former sans efforts (jamais poussives), subtiles et féminines. Son duo s'étoffe et se complexifie avec l'accompagnement de la mezzo-soprano Natascha Petrinsky, dont l’auditoire regrettera surement de ne pas entendre les graves en solo.
Du côté des voix masculines, la très british vedette Nicky Spence peut se targuer d’offrir avec éloquence une touche quasi latine. Très opératique, la voix du ténor est dessinée, racée, profonde mais aussi acidulée. Le souffle est maîtrisé, offrant des graves d’une très belle rondeur mais aussi la précision d’un allemand aux intonations sensuelles. Enfin, la voix de basse d’Alexander Vassiliev, atypique et profonde est impressionnante, presque monastique. Humble, au souffle posé, long et réfléchi, ses notes s’infusent avec une lenteur religieuse et profonde. Chacun tire avec sagesse les lignes d’une partition puissante, servant la dualité de Bruckner avec une compréhension solennelle.
« La louange extatique pour langues d’anges, mystiques, cœurs tourmentés et âmes purifiées par le feu » s’offre à Bruxelles avec violence et complexité. Hartmut Haenchen peut se targuer d’avoir ajouté une pierre à l’édifice de Bruckner.