La Périchole, l’apéritive enivrante au cabaret à l’Opéra de Bordeaux
L’intérêt particulier que Marc Minkowski voue aux ouvrages d’Offenbach ne se relâche décidément pas. Une belle frange du public se souvient avec beaucoup de bonheur des productions de La Belle Hélène et de La Grande-Duchesse de Gérolstein au Théâtre du Châtelet, spectacles qu’il dirigeait et qui firent date. Anticipant le bicentenaire de la naissance du compositeur (né le 20 juin 1819), Marc Minkowski et Alexandre Dratwicki (Directeur artistique du Palazzetto Bru Zane - Centre de musique romantique française), se sont entendus pour présenter une nouvelle production de La Périchole, opéra-bouffe d’Offenbach sur un livret des inamovibles Meilhac et Halévy d’après Le Carrosse du Saint-Sacrement de Prosper Mérimée. La version présentée est celle remaniée en 1874 en trois actes, la plus connue. Cette production fera l’objet d’une publication par le Palazzetto Bru Zane sous forme de livre-disque.
Présentée préalablement en version concertante au Festival de Pentecôte de Salzbourg (version en deux actes de 1868 dans ce premier temps), puis cet été au Festival de Radio France Occitanie Montpellier, cette Périchole se devait de retrouver la scène. L’histoire d’amour de l’incandescente Périchole et du charmant mais naïf Piquillo, deux jeunes chanteurs et danseurs affamés parcourant désespérément les routes des Andes, -leur passion étant un moment contrariée par la concupiscence du Vice-Roi de Lima, Don Andrés de Ribeira- n’a pas pris une ride. La musique d’Offenbach, entre ironie et parodie du Grand Opéra français, pétille de mille feux et accumule les airs et ensembles avec cette verve, cet esprit, qui caractérisent le musicien chéri du Second Empire. Surtout, Offenbach savait écrire pour les voix comme celle capiteuse d’Hortense Schneider, créatrice de La Périchole, ou pour celles des comédiens-chanteurs d’alors. Il aimait ses interprètes et cela se ressent !
Pour cette production bordelaise, Romain Gilbert a choisi, avec ses collaborateurs Mathieu Crescence pour la scénographie et les costumes, Lila Meynard et Bertrand Couderc pour les lumières, de situer l’action en un lieu unique, le Cabaret des Trois Cousines façon Cabaret de Bob Fosse. Dans un décor uniformément rouge et noir, bien triste tout de même pour ce type d’ouvrage, le rythme général fait quelque peu défaut et certaines situations bien trop accentuées ou fort inutilement scabreuses alourdissent le spectacle. Dans l’ensemble, le rire sinon le sourire se font attendre, il convient cependant de souligner de beaux et émouvants moments, comme celui de l’emprisonnement de Piquillo attaché dans le noir avec des rubans rouges venant des cintres. Les marionnettes d’Émilie Valantin et Jean Sclavis -une dame pincée de la bonne société lisant Gala dans une loge d’avant-scène et un vieux monsieur suivant la partition en face d’elle avant de la rejoindre-, paraissent extérieures à l’entreprise et non intégrées à la mise en scène. Seule la savoureuse marionnette du cacochyme prisonnier, Le Marquis de Satarem, un rien libidineux, lors de la scène de la prison participe du déroulement même de l’action.
Le bonheur est à rechercher plus strictement au plan vocal avec en premier lieu le Piquillo de Stanislas de Barbeyrac, qui semble s’amuser comme un fou. D’une parfaite aisance scénique, sa belle voix de ténor se projette avec facilité, rayonnante et dominant les ensembles même si le rôle demande un aigu plus franc. Annoncée souffrante, Aude Extrémo campe une aguichante Périchole, sa voix de mezzo au timbre relativement grave paraissant toutefois en cette soirée de première un peu mate et manquant d’amplitude. Du Vice-Roi, le baryton Alexandre Duhamel ne fait qu’une bouchée avec une énergie comique bienvenue et un matériau vocal presque surdimensionné pour le rôle. Le duo Éric Huchet –Don Miguel de Panatellas- et Marc Mauillon -Don Pedro de Hinoyosa-, ce dernier loin de son répertoire baroque habituel, fonctionne à merveille. Leur duo comique endiablé à la prison Les maris courbaient la tête est un moment de pur et authentique régal. De même, les compositions plus vraies que nature d’Enguerrand de Hys (le premier notaire, Le Marquis) et François Pardailhé (le second notaire) s’inscrivent dans la même veine. Les trois cousines- Olivia Doray, Julie Pasturaud fort avantageuse et Mélodie Ruvio- donnent toute satisfaction, avec une mention toute spéciale pour Adriana Bignagni Lesca (Brambilla), alto de caractère qui les rejoint, notamment pour ce chœur étonnant qui ouvre le deuxième acte, Cher seigneur revenez à vous.
Placé à la tête de ses Musiciens du Louvre, Marc Minkowski se donne entièrement, avec un tempo lancé à toute vitesse -et cela engendre quelques décalages de la part des solistes et des chœurs, ceux de l’Opéra de Bordeaux-, mais aussi avec des instants plus nuancés et poétiques que l’on eût souhaité toutefois un peu plus nombreux.
La soirée s’était ouverte de façon houleuse par une manifestation d’une partie de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine sur les marches de l’Opéra avec distribution de tracts et concert gratuit, la contestation portant sur le choix de programmer en ouverture de saison non l’ONBA, mais la formation de Marc Minkowski, Les Musiciens du Louvre. Accueilli par des huées féroces à son arrivée en fosse, ce dernier a précisé en avant-première que Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach ouvriraient la saison 2019/2020 de l’Opéra National de Bordeaux avec l’Orchestre maison. La direction justifie par ailleurs sa décision concernant La Périchole par le fait que Les Musiciens du Louvre se trouvaient présents dès l’origine et pour les concerts de Salzbourg et de Montpellier, l’ONBA se trouvant occupé dans le même temps sur d’autres projets dont l’enregistrement d’un récital avec Marie-Nicole Lemieux. La représentation s’est ensuite déroulée sans autre anicroche et a remporté un vif succès de la part du public bordelais.