Elsa Dreisig et ses métamorphoses au Théâtre des Champs-Élysées
Elsa Dreisig fait preuve d’une capacité de jeu extraordinaire,
incarnant personnage avec intensité et justesse et
parvenant à passer de l’une à l’autre en un instant. Elle est
tantôt possédée et démente dans le final de Salomé de
Strauss, en complète détresse pendant l’Air du poison de Gounod
puis enjouée et euphorique lorsqu’elle interprète Marguerite dans
l’Air des bijoux (Faust de Gounod).
Ses talents certains de comédienne sont sublimés par une voix de soprano lyrique harmoniquement riche sur l’ensemble de sa tessiture et dont le tissu particulièrement épais se fait parfois plus dramatique. Elle se distingue par des aigus vaillants et explosifs mais également par des graves étonnamment clairs et une capacité à poitriner particulièrement remarquable dans l’air interprété pour l’occasion dans sa version française « Ah ! Tu n’as pas voulu » tiré de Salomé (Strauss). Son vibrato élégant, sobre et tonique, sait disparaître pour offrir des sons droits d’une exquise justesse dans ce même air.
Malgré ses qualités vocales, Elsa Dreisig passe une première partie de concert en force avec une gestion quelque peu rigide de son souffle dans les aigus et les fortissimo comme dans les nuances plus douces. Elle se détend heureusement pour la deuxième partie du programme ce qui lui permet d’aborder avec souplesse les piqués pianississimo de « Una voce poco fa » (Le Barbier de Séville de Rossini). Cela lui permet également de gagner en agilité et précision : les trilles dans le bis, « L’Air des bijoux » (Faust de Gounod), sont véloces et légers, comme soudainement le cœur de Marguerite qui se découvre enfin belle.
L’articulation de la soprano est irréprochable en français et dans l’air du poison « Dieu ! Quel frisson » (Roméo et Juliette de Gounod), chaque syllabe est intelligible même dans l’extrême aigu. Les consonnes structurent et rendent parfaitement clair le discours d’Elsa Dreisig qui bénéficie sans doute ici de son travail réalisé dans la tradition lyrique allemande, à Leipzig puis à Berlin.
L’Orchestre national Montpellier Occitanie répond à la direction expérimentée et délicate de son chef principal, Michael Schønwandt. L’ensemble est pourtant inégal pendant la première partie. Le "Mondscheinmusik" (Capriccio de Strauss) en ouverture est parfaitement exécuté par les musiciens et met en valeur un solo de cor maîtrisé tandis que la musique, par vague, ballotte crescendo l’auditoire dans un flux et reflux de plus en plus intense. Puis, pendant l’extrait d'Hérodiade « Il est doux, il est bon » (Massenet), l’orchestre semble ne pas avoir la même échelle de nuances qu'Elsa Dreisig, les volumes et les intentions ne sont pas équilibrés surtout au début de l’air. Les premières notes jouées sont mezzo forte à forte tandis que la soprano tente d’entrer avec des mezzo piano difficilement audibles. Pendant « Ah tu n’as pas voulu » (Salomé de Strauss), malgré la projection qui ne manque pas à Elsa Dreisig, la ligne mélodique est plusieurs fois perdue, noyée par les instruments qui jouent définitivement trop fort.
Ces difficultés sont effacées après l’entracte notamment sur l’air de la Comtesse « Porgi amor » des Noces de Figaro (Mozart) où l’équilibre avec la jeune soprano est à son paroxysme ce qui lui permet d’en donner une interprétation poignante et grave. L’ensemble fait également montre d’une belle cohérence pendant « La Reine Mab » (Roméo et Juliette de Berlioz) et, dans un style moins explosif, parvient à adopter un jeu dans la retenue, tout en légèreté.
L’attention portée à la conception de ce programme dans lequel chaque air, chaque personnage, chaque pièce orchestrale fait écho au précédent, associé à l’application et l’implication musicale et vocale d’Elsa Dreisig, contribuent au succès de la soirée qui se conclut par une longue ovation méritée.