Les Maîtres (en)Chanteurs à Munich
Les décors, signés Patrick Bannwart, se composent d’une part d’un espace festif et ouvert (un plateau sur scène rappelant un ring de boxe, des échafaudages et un écran de toile pour les vidéos projetées, créées par Falko Herold), d’autre part, les bâtiments résidentiels vaguement visibles au premier acte qui sont tirés vers l’avant, les murs grisâtres et tagués indiquant une banlieue allemande contemporaine avec un fourgon (l’atelier du cordonnier Hans Sachs). Les costumes de Meentje Nielsen contribuent à l’individualisation des personnages principaux ainsi qu’à l’apparence collective des chœurs et des figurants (de jolies robes d’été, des tenues grises ou bavaroises). S'y ajoute la lumière de Michael Bauer, qui aide à suggérer les transitions temporelles de ce « songe d’une nuit d’été », dont le cadre se déroule autour de la Fête de Saint-Jean.
La mise en scène de Bösch de cette comédie wagnérienne démontre une maîtrise de l’action scénique et de la direction d’acteur tout au long du spectacle (durée annoncée : 5h40). Les projections concrétisent le concours de chant, rendent le mouvement d'un plateau vivant, animé par des espaces scéniques simultanés, à la fois symboliques et signifiants (comme l’ascension-descente hilarante de Sixtus Beckmesser par un système hydraulique), ou son jeu slapstick (comédie physique) avec un pupitre dans le troisième acte. Les moindres détails exhibent le talent du metteur en scène pour la caractérisation, la comédie, la dramaturgie et des clés d’interprétation : des personnages qui échouent à rouler des cigarettes (la création novatrice) et s’abandonnent aux produits préfabriqués ; la panne du panneau électrique indiquant « Sachs » qui devient dans le troisième acte « ach » (« hélas ») ; le soin respectueux de Fritz Kothner pour un buste en plâtre du compositeur (plus tard cassé par l’innovateur Walther) ; ou le ficelage de David avec un câble microphone.
Selon l’annonce, quatre solistes sont indisposés. Heureusement, l’Opéra d'État de Bavière a réussi à engager Michael Volle (Hans Sachs), qui avait chanté à Berlin la veille et passé la journée a répéter la mise en scène. Par conséquent, la distribution réunit trois des interprètes principaux du Festival de Bayreuth. Michael Volle fait merveille par l’ampleur, la beauté et l’endurance de son instrument, ainsi que par son articulation et sa palette d’expressions, passant sans heurt du lyrisme idyllique à un abord quasi-parlé de comédien. Sa coordination avec l’Orchestre d'État de Bavière et avec le reste de la troupe est parfaite. Scéniquement, sa gestique toute naturelle ne laisse rien à désirer, même dans ses scènes solo. La complexité de son portrait oscille entre objet de sympathies, défenseur de la démocratie et de la liberté artistique, et cordonnier tourmenté, souvent agressif, contrarié par la négligence de la jeune génération pour les « deutsche Meister » (maîtres allemands : en revanche, le public munichois ne néglige pas l’éloge de ce maître chanteur allemand).
Comme à Bayreuth, Daniel Behle interprète son apprenti David, mais d’une façon bien différente. Faisant son entrée sur un vélo électrique, il adjoint à son chant doux un caractère empressé, voire frustré, élaborant une expression caractérisée, vocalement et gestuellement, qui convoque aussi un style d’opérette ou de cabaret (son personnage finit même par vomir dans le trophée du concours). Comme Michael Volle, Daniel Behle fera partie de la distribution d’Arabella au Théâtre des Champs-Élysées en janvier prochain.
En Magdalena, son amante et également la nourrice d’Eva, Claudia Mahnke profite d’une forte présence dramatique au jeu charmant. Sa voix de mezzo est belle et sûre : un trésor, qui lui permet de modifier son timbre selon la situation et le personnage auquel elle s’adresse. L’Eva de Julia Kleiter fait l’équilibre expert entre la jeune innocente, le rôle douteux de "premier prix du concours", et une femme émancipée et rusée. Elle met ainsi l’accent sur son libre arbitre par un jeu actif et une intuition sûre pour l’art du dialogue, tandis qu’elle peint de manière convaincante son amour pour Walther avec la clarté gazouillante de son haut registre.
Malgré la maladie annoncée, Klaus Florian Vogt aborde le rôle de Walther von Stolzing. Une légère injustesse et une tension récurrente trahissent sa condition vocale, mais, comptant sur sa technique solide, il réussit à offrir aux spectateurs un portrait plus varié que d’habitude : économisant son beau chant doux et juvénile, si approprié pour ses prestations solo, il développe un jeu théâtral, tour à tour tâtonnant et pensif, acerbe et furieux, un fait original dans l’art vocal de Vogt.
Veit Pogner, le père d’Eva, est devenu un magnat, patron de « Meister-Bräu » et de « Pogner Vision ». La basse profonde et chaleureuse de Georg Zeppenfeld assure l’importance scénique et dramatique d’un personnage à la fois autoritaire et engagé. Fritz Kothner, boulanger et l’un des Maîtres, est chanté par Michael Kupfer-Radecky (qui a partagé le rôle de Hans Sachs avec Michael Volle à La Scala de Milan l’année dernière). Comme tous les huit « Kleinmeister » (maîtres mineurs, dont deux ont été remplacés au dernier moment), il dispose d’un instrument fiable et sonore, aussi agile qu'articulé. Cela vaut aussi pour le jeune Milan Siljanov dans le court rôle du Veilleur de nuit, dont l’articulation, le volume et la chaleur du timbre sont très prometteurs.
Chose étonnante, l’interprète choisi pour Sixtus Beckmesser, souvent conçu comme caricature d’un Juif, n’est pas, comme de coutume, un baryton de caractère. Ici, Markus Eiche prête au rôle sa belle apparence, les nuances et la beauté de ses longues phrases musicales (dignes d’un Wolfram). Généralement isolé des autres personnages, Eiche suscite la sympathie des spectateurs, créant ainsi un portrait plutôt tragicomique que purement comique.
Les chœurs de la maison (préparés par Sören Eckhoff) sont en pleine forme. Se rapprochant discrètement lors du premier choral, ces chanteurs habiles, certes légèrement décalés dans les consonnes, sont autant à l’aise dans les moments idylliques que dans les scènes de masse, jusqu’au chœur final, un temps fort de la soirée. i Kirill Petrenko avait proposé dans Parsifal une lecture analytique et interrogatrice de la partition wagnérienne, son interprétation des Maîtres Chanteurs indique plutôt une vision unificatrice, dans tous les sens : le prélude du premier acte rendu legato (les notes liées plutôt que séparées), chaque scène collée à la suivante, avec une pleine union entre plateau et fosse d’orchestre – le tout au nom du bon drame. Tout cela se transmet en accord avec la mise en scène et le jeu vocal, vif et sans temps morts. C'est d'ailleurs l’idée fondamentale de cette comédie : la liaison heureuse du jeune couple, et l’unification accomplie de la communauté allemande.