Sommet de musique sacrée pour un éclatant concert de clôture du Festival d’Ambronay
Au XVIIIe siècle, Naples est effervescente et
passionnée : deuxième ville d’Europe après Londres, elle
est considérée – notamment par Stendhal – comme la capitale
européenne de la musique. Le chant y est effectivement une évidence
pour des napolitains particulièrement passionnés d’opéra.
Les 44 salles d’opéra de la ville en sont une impressionnante
preuve – avec notamment le plus grand opéra d’Europe, le San Carlo. Les compositeurs Niccolò Jommelli (1714-1774) et
Jean-Baptiste Pergolèse (1710-1736) ont tous deux étudié au
milieu de cette effervescence, portés par ce goût prononcé pour le
lyrisme, l’agilité dramatique des solistes, la puissance éclatante
des chœurs et la brillance de l’orchestre. Bien qu’ils composent
évidemment des opéras, ils ne sont pas étrangers à la musique
d’église, à laquelle ils apportent ce « goût moderne »
qui peut susciter l’émotion des fidèles.
Nommé maître de chapelle coadjuteur de la Chapelle Giulia à Saint-Pierre et de Sainte-Marie de l’Âme à Rome en 1749, Jommelli compose son Dixit Dominus pour les vêpres de la Nativité de la Vierge du 8 septembre 1751. Sous la direction vive, parfois même nerveuse, de Giulio Prandi, l’Orchestra Ghislieri se montre immédiatement remarquable de précision d’ensemble. Les places d’archet des violonistes, précises, communes et intelligentes, manifestent la rigueur et l’exigence du travail préparatoire qui permettent une telle cohésion. Extrêmement attentif, le chef dirige par cœur chacun de ses musiciens, gérant ainsi un équilibre toujours juste et une palette saisissante de nuances, donnant énormément de relief et de respirations à cette musique tout à fait théâtrale. Le Chœur Ghislieri est tout aussi superbe par ses couleurs, son homogénéité et son expressivité d’articulation.
La jeune soprane Francesca Boncompagni se fait d’abord timide lors de sa première intervention « Tecum principium in die virtutis tuae » (Ton peuple est plein d’ardeur), manquant d’articulation et de puissance. L’auditeur ne peut en être que frustré, percevant tout de même un timbre juvénile et innocent, avec également des intentions sublimes telles que sa deuxième intervention « Dominus a dextris tuis » (Le Seigneur, à ta droite), d’une voix angélique rayonnant particulièrement dans les aigus. La mezzo-soprano Marta Fumagalli, issue du chœur, n’est pas toujours très compréhensible dans son « De torrente in via bibet » (Il boit au torrent pendant la marche), dans lequel la voix semble avoir parfois un peu de mal à se placer. Elle est cependant très convaincante dans sa petite cadence vocalisée.
La Messe en ré majeur de Jean-Baptiste Pergolèse est créée d’abord en 1732 en la Santa Maria della Stella de Naples, puis révisée pour le San Lorenzo in Lucina de Rome, le 16 mai 1734. C’est cette dernière version, oubliée depuis, que Prandi ressuscite ce soir pour Ambronay. La précision du chœur permet à l’auditeur d’apprécier toutes les couleurs produites par l’harmonie, superbe et implorante du Kyrie eleison (Seigneur, aie pitié), magnifique et touchante pour « et in terra pax hominibus » (Et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté – Gloria), belle et tendre sur le« miserere nobis » (prends pitié de nous – Qui tollis) et majestueuse pour la fugue finale du Cum Sancto Spiritu. Outre ces moments de grande beauté, la musique se montre également brillante dans le début du Gloria ou brutale pour le Qui tollis. Elle met aussi en évidence l’agilité des musiciens lors du Gratias. Pour le Quoniam, l’orchestre est même élégant et dansant – faisant penser à certaines œuvres symphoniques ou concertantes de Joseph Haydn.
Le public ne peut qu’être conquis par cette énergie colorée au service de cette si belle musique. Il le montre avec d’enthousiastes applaudissements, que Giulio Prandi remercie par un premier bis, le vif, presque terrible, Quando corpus morietur du célèbre Stabat mater de Pergolèse, dans la version d’Antonio Salieri (1750-1825), parfaite pour l’effectif de ce soir. Le public en demande encore et encourage le chef et ses musiciens à offrir un autre saisissant Dixit Dominus, celui du vénitien Baldassare Galuppi (1706-1785).
Comme il est de coutume pour le concert de clôture du Festival d’Ambronay, le public et les musiciens montrent combien ils souhaiteraient que ce partage musical ne se termine jamais. Un ultime Cum Sancto Spiritu de la Messe de Pergolèse, fait lever toute l’assemblée de l’abbatiale.