Sémiramis enflamme le Festival d’Ambronay avec Les Ombres
D’abord promis à une carrière militaire, en tant que mousquetaire, André Cardinal Destouches (1672-1749) commence sa carrière musicale au service du Roi Soleil l’année de ses 25 ans. Les talents du jeune compositeur sont reconnus par Louis XIV qui lui crée le poste d’Inspecteur général de l’Académie royale de musique, soit l’équivalent du Directeur artistique de l’Opéra de Paris, où ses œuvres sont également très appréciées. Le Régent Philippe d’Orléans lui offre en plus la charge de Surintendant de la Musique de la Chambre du roi en 1718. Ces très diverses reconnaissances manifestent le génie de Destouches, qui sait plaire à tous. Cependant, le propre du génie est souvent d’être incompris car en avance sur son temps. C’est le cas avec sa flamboyante tragédie Sémiramis, créée en décembre 1718 à l’Académie : la puissance, voire la violence dramaturgique, de certaines scènes a garanti le succès de l’œuvre mais, ne répondant pas aux goûts frivoles de la Régence, elle ne resta pas très longtemps à l’affiche. Elle aurait pu se faire sa place une dizaine d’années plus tard, si Jean-Philippe Rameau (1683-1764) ne s’était pas imposé comme le compositeur des brillants opéra-ballet, parfaitement aux goûts de son temps. Il fallut attendre le travail de recherche de Sylvain Sartre pour que l’œuvre retrouve la lumière qu’elle mérite. Cette renaissance est justement la spécialité de son ensemble Les Ombres, qu’il co-dirige aux côtés de la violiste Margaux Blanchard.
La tragédie en cinq actes conte les dernières péripéties de l’ambitieuse Reine de Babylone, Sémiramis. Craignant pour son trône et sa vie, elle abandonne son propre fils et écarte sa nièce Amestris en la plaçant au service des dieux. Amoureuse d’un jeune inconnu nommé Arsane, elle déclenche la jalousie furieuse du magicien et Roi de la Bactriane Zoroastre. Dans le même temps, irrités des crimes de Sémiramis, les dieux veulent que le sang royal coule : Amestris est toute choisie. Or Arsane est l’amant de la jeune prêtresse et cherche alors à la délivrer à tout prix, mû par une violente passion. Il finit ainsi par tuer Sémiramis, accomplissant la vengeance de Zoroastre qui annonce qu’Arsane est en réalité le fils de Sémiramis. Les multiples prédictions de l’oracle s’accomplissent : la vengeance de Zoroastre cause pleurs, cris et sang, celle des dieux est calmée par le sang royal et Sémiramis meurt par la main de son fils.
Le rôle-titre est confié à la soprano néerlandaise Judith van Wanroij, dont le beau timbre chaleureux et délicat est aisément projeté. Malheureusement, malgré un certain effort de prononciation en débuts d’interventions, la nécessité de comprendre son texte encourage l’achat de programmes lors de l’entracte. La douce prêtresse Amestris est incarnée par la soprano Emmanuelle de Negri, quant à elle délicieuse de diction, très à l’aise avec sa voix rayonnante et agile. Ses intentions sont emplies de simplicité sincère, par exemple dans le touchant « J’immole aux dieux le printemps de mes jours » (acte IV, scène 5). Les duos (Acte I, scène 4 ; Acte II, scène 1) bénéficient de l’engagement de son amant Arsane, interprété par Mathias Vidal. Celui-ci est ainsi très convaincant, certainement proche de la manière de l’époque : le chant est d’abord au service du texte et des intentions qu’il véhicule. Le ténor fait entendre un art de la déclamation du français, dont les intentions dramatiques sont valorisées par une grande maîtrise des nuances, bien qu’elles soient souvent très fortes, justifiées par la colère de l’amant. La basse João Fernandes est le terrible Zoroastre, profond et fier. Il sait utiliser toute une palette de timbres pour exprimer son texte et ses furieuses intentions. Son monologue maudissant Sémiramis « Arrêtez. Les enfers sont prêts à m’inspirer » fait frémir.
Le chef Sylvain Sartre offre une gestique ample et géométrique, qui sert la direction de phrasés et les effets des ensembles. Les musiciens des Ombres sont de parfaits exécutants de la flamboyance de la musique, créant les décors tout en faisant preuve d’autant de nuances que de virtuosité, avec des moments dansés très actifs et rythmés et d’autres insouciants. Le Chœur du Concert Spirituel n’est pas toujours très compréhensible mais son homogénéité et ses intentions sont saisissants. Il se montre tout à fait terrorisé et terrorisant dans « Quels déluges brûlants tombent de toutes part ? » (Acte I, scène 6), épouvanté en démons entourant Zoroastre « Versons l’épouvante dans les cœurs » (Acte III, scène 4). Ces moments sont très efficacement mis en valeur par les lumières de Nathalie Perrier, créant dans l’abbatiale une ambiance chaleureuse, avec prédominance d’orange ou de rouge, ou au contraire une autre très froide, avec un bleu agressif, lors des surprenants orages (Acte I, scène 6 ; Acte V, scène 5).
L’œuvre se termine par le tragique « Je meurs » de Sémiramis, plongeant la salle dans l’obscurité et le silence, bien vite rempli des applaudissements récompensant la belle découverte de cette tragédie qui retrouve assurément le succès qu’elle méritait.
Ce concert sera diffusé sur France musique le 14 octobre 2018 à 20h