Stabat Mater ou le chant de la douleur universelle, au Théâtre de la Renaissance
Giovanni Battista Pergolèse (1710-1736) composa quelques mois avant sa mort le Stabat mater, l’une des œuvres sacrées les plus emblématiques du répertoire baroque italien. Créé à Naples, le Stabat mater fait partie des œuvres les plus fréquemment reprises, aujourd’hui programmée au Théâtre de la Renaissance d’Oullins (en coopération avec le Théâtre de la Croix-Rousse). Composé pour deux voix seules avec accompagnement instrumental, il ne prévoit initialement pas de mise en scène. Dans cette version interprétée par les solistes et l’ensemble Les Nouveaux Caractères, dirigés par Sébastien d’Hérin, plusieurs arts de la scène sont convoqués pour mettre en valeur le texte liturgique en langue latine. Les metteurs en scène David Bobée et Caroline Mutel (également chanteuse) offrent un spectacle engagé, dressant un parallèle entre la souffrance de la Vierge Marie lors de la crucifixion de son fils Jésus-Christ et celle des migrants contemporains qui tentent de franchir la Méditerranée.
Si les décors et les costumes sont absents, la mise en scène prévoit une succession d’objets suggestifs (du sang, des cartons, une tente) rappelant les thèmes du voyage, de la précarité et de l’instabilité. L’enchaînement des douze mouvements qui composent le Stabat mater n’est jamais identique, que ce soit avec des textes parlés enregistrés et diffusés (des entretiens de marins, de migrants, de journalistes, d’humanitaires, choisis par les metteurs en scène), de la musique électronique créant des ambiances singulières, la reprise du texte liturgique parlé ou le halètement par les deux chanteuses. En outre, à plusieurs reprises, une bande sonore, évoquant les côtes méditerranéennes (bruits de la mer, voix sur la plage, oiseaux marins et côtiers), est intégrée à la musique du compositeur napolitain.
Les voix de la soprano Caroline Mutel et de la mezzo-soprano Aurore Ugolin s’associent habilement, permettant d’apprécier le contraste des registres aigus et graves de la partition, et proposent des lignes vocales bien articulées. Le duo du troisième mouvement (« O quam tristis ») est particulièrement saisissant : les deux interprètes, projettent leur voix avec précision et offrent un regard intense au public, depuis le devant de la scène. La disposition scénique des artistes varie : selon les mouvements, les chanteuses interprètent les solos ou duos sur les côtés pour que le danseur ou l’acrobate puissent s’approprier librement l’espace, ou partagent avec eux le centre de la scène. Le timbre de la soprano Caroline Mutel, léger et délicat en particulier dans le registre médium, s’associe avec finesse à celui sombre et généreux de la mezzo-soprano Aurore Ugolin.
L’ensemble Les Nouveaux Caractères, après un premier mouvement un peu fragile, parvient à trouver un réel équilibre et une belle unicité, conduit par le duo complice que forment l’organiste David Van Bouwel et le chef Sébastien d’Hérin au clavecin. Dans le dixième mouvement (« Fac ut portem ») en particulier, l’orchestre trouve une homogénéité et une harmonie qui servent avec habileté la voix chaude et ronde de la mezzo-soprano Aurore Ugolin.
Les musiciens partagent la scène avec deux autres artistes, un danseur et un circassien, un choix esthétique et artistique fréquemment défendu par Les Nouveaux Caractères. Salvatore Cappello excelle avec grâce et harmonie dans les acrobaties aériennes, certaines évoquant la passion du Christ ou le vol des anges. Bobie M’foumou, quant à lui, offre une danse inspirée, avec souplesse et agilité, dans un dialogue précis avec la musique. Dans le douzième et dernier mouvement, mettant en scène un royaume de précarité, il interprète une danse exaltée, accompagnée d’un rire sarcastique qui associe son mouvement à celui de la folie.
Le public a la surprise d’entendre, de façon plus ou moins fugace, des extraits d’autres œuvres musicales du répertoire baroque : le Concerto grosso op. VI n. 8 « fatto per la Notte di Natale » d’Arcangelo Corelli (1653-1713), le Dulcis amor, Jesu care de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), une cantate pour clavecin seul de Domenico Scarlatti, ainsi que le Stabat mater de Giovanni Felice Sances (env. 1600-1679) interprété par la soprano Caroline Mutel qui offre le plaisir d’une voix délicate et incarnée.
Le dernier mouvement du Stabat mater est suivi du duo « De torrente in via bibet », extrait du Dixit Dominus de G.F. Haendel, sur lequel se clôt le spectacle. Les instruments s’éteignent peu à peu jusqu’à la note tenue de l’orgue, permettant aux musiciens de rejoindre l’avant et le centre de la scène accompagnés des résidents du foyer Adoma d’Oullins [auprès desquels les artistes sont intervenus depuis le mois de septembre]. Le public du théâtre de la Renaissance d’Oullins acclame avec chaleur les artistes.