La Flûte par Castellucci : La Monnaie frappe deux fois (très fort)
Retrouvez notre compte-rendu et la vidéo intégrale de la première distribution
Passée la première représentation au parfum de nouveauté et de scandale, le choix d’une (telle) deuxième distribution est le prétexte idéal pour revenir maturer et digérer le poids d’une telle proposition artistique. La distribution, qui n'a de "seconde" que le nom, est pleine d'heureuses surprises et de confirmations ! Toujours aussi jeune et investie mais surtout très belge, ce sont de nouvelles figures émergentes de la scène opératique qui viennent donner à la pièce un ton nouveau. Comme le "cast B" de Don Carlos avait bien compris l'esprit de Warlikowski à Bastille la saison passée, les quatre nouvelles voix ont bien compris le défi de Castellucci : transmuter la symbolique Mozartienne, et renouer avec un réel, un contemporain nourri d’expériences passées en conservant une dynamique éclectique.
Dans cet esprit, les timbres sont bruts, résolument affirmés et fougueux sous la baguette de Ben Glassberg, qui succède pour cette partition à Antonello Manacorda : une belle énergie, qui offre à la pièce une nouvelle lecture enlevée et très vive (trop vive dans les débuts de mouvements, très vite canalisés par la noblesse scénique).
Dans La Flûte enchantée, il est question de basculer dans la nuit, de la chute d’un pouvoir, d’une mère arrachée à ses enfants. Si la première distribution était très sensible, notamment grâce à Sabine Devieilhe qui incarnait la reine de la nuit avec une délicate et profonde mélancolie, ici Jodie Devos offre au rôle une rondeur de voix et une ouverture de chant puissante. Plus engagée, plus colérique, la délicatesse se perd parfois et les notes du personnage-clé peuvent jurer par la justesse, mais le timbre reste acidulé, ample et la rythmique balayée.
Cette liberté, Jodie Devos se la permet notamment après une interprétation remarquée à la Philharmonie de Paris en 2017 dans le même rôle. Remarquée pour sa prouesse vocale, la voix voluptueuse de Jodie Devos semble ici moins précise, mais la liberté de chant offre tout de même de belles envolées lyriques, marquées par une profondeur de voix noble et riche. Surprenante, complexe, la soprano offre une vision nuancée de la Reine de la nuit, humaine, moins mécanique finalement. C'est essentiel pour un spectacle qui en fait son axe de symétrie (tous les autres ont un double mimant en play-back) et la mère nourricière (répandant le contenu d'une brique de lait ou bien un halogène empli du lait maternel de trois femmes qui le tirent véritablement de leurs poitrines, sur scène).
Redoutable Pamina, incarnée avec brio par Ilse Eerens : son extrême sensibilité, la juvénilité des aigus pétillants et sa précision de voix permettent une interprétation impressionnante des arias de Pamina. Les notes sont formées avec une finesse de progression quasi silencieuse et acidulée. Marquée de nostalgie et d’une féminité inégalable, les harmonies sonnent redoutables et véloces.
Tijl Faveyts campe un Sarastro solennel, certes noble et olympien mais à la limite d’une « léthargie scénique ». Droit et charismatique, ce rôle est pourtant celui qui l’a révélé au public, lui offrant une carrière internationale, lors du Festival d’Aix-en-Provence en 2006. On y retrouve une droiture et profondeur de voix impressionnantes, mais qui manquent d’ornementations et des harmoniques les plus profondes. La voix est flegmatique, à la mesure du corps, appuyé, confiant et un peu en retrait.
Face à Tijl Faveyts, Reinoud van Mechelen est clairement d’une école plus baroque. Sa voix de ténor aux ornementations subtiles, maitrisées par un souffle et une diction parfaite lui confèrent un caractère plus subtil. L’humilité de Reinoud van Mechelen, et l’art de s’offrir en retrait peut surprendre. Parfois couvert par les voix résolument opératiques, la qualité du chant ne se laisse pas attendre pour autant. Le naturel est roi, la voix jamais poussive, toujours offerte avec une maîtrise synonyme de liberté. Tamino est exquis, complexe et convainquant.
Avec cette deuxième distribution, d’une belle homogénéité, on oublierait presque le caractère provocateur de la mise en scène de Romeo Castellucci. Les voix sont classiques, nobles et maîtrisées, réglées avec une gestion des caractères bien propre à chacun. Au service total de la musique, chacun tire son épingle du jeu avec humilité et passion.