Énorme succès pour le Rigoletto de Sir Simon Keenlyside au TCE
Il ne suffit pas toujours d’une belle affiche pour qu'un concert soit réussi, et cela est d’autant plus vrai pour un opéra en version concert, exercice très délicat et souvent exigeant pour le spectateur. La production du Théâtre des Champs-Élysées a mis toutes les chances de son côté, en choisissant d’abord un chef-d’œuvre parmi les chefs-d'œuvre, dont le livret ignore les circonvolutions et détours sans fin qui mettrait à mal une mise en espace épurée. En outre, ce sont de grands noms du monde lyrique qui sont ici à l’affiche, et notamment Sir Simon Keenlyside.
Habitué du rôle, son talent d’acteur nullement diminué par l’absence de décors ou de costumes, fin conteur et habile interprète, Keenlyside transcende le rôle, et offre un bouffon aussi bien drôle au début, que touchant par la suite, mais surtout particulièrement émouvant. Vocalement en pleine forme, le baryton est même parfois un peu fort dans des moments sensibles, mais, en chanteur intelligent, il sait aussi quand et comment s’économiser. Il offre des très beaux moments, notamment dans la cabalette « Veglia, o donna, questo fiore » (« Ô femme, veille sur cette fleur ») et surtout, au deuxième acte, dans le magnifique air « Cortigiani, vil razza dannata » (« Courtisans, vile race damnée »), accueillis par de nombreux bravi. Au troisième acte, il montre de légers signes de fatigue, et se retrouve un peu effacé dans le fameux quatuor « Bella figlia dell’amore » (« Belle fille d'amour »). Mais tout son talent se retrouve dans la scène finale, et il est véritablement bouleversant dans le duo déchirant de la mort de Gilda.
L’interprète de Gilda (Ekaterina Siurina) n’est pas en reste, et forme avec le baryton un duo très convaincant tout au long de l’opéra. Si dans la première scène sa voix semble légèrement voilée, et son timbre inégal, ce n’est certainement que le temps de faire passer le trac et de chauffer un appareil qui se révèle charnu, avec un joli métal, au médium particulièrement coloré. Excellente comédienne, elle est très crédible en jeune fille amoureuse dans le fameux air « Gualtier Maldè! … Caro nome » (« Gualtier Maldè !... Cher nom »), mais ses aigus ne sont malheureusement pas au rendez-vous. En avançant dans l’œuvre, sa voix se faisant de plus en plus libre, elle prodigue de très beaux moments, toujours avec beaucoup d’émotions, grâce à une incarnation véritable du rôle et du texte, touchant le public aux larmes dans la scène finale.
Habitué du rôle du Duc de Mantoue, Saimir Pirgu est très à l’aise, aussi bien physiquement que vocalement, malgré quelques sons un peu trop laryngés, des attaques et appuis tendant parfois vers la vulgarité. Sa très belle sensibilité fait vite oublier ses quelques faiblesses techniques, et, comédien délicieux, il reste attendrissant dans le mauvais rôle du séducteur sans vergogne. C’est un rôle très éprouvant, qui impose un grand air dès les premières minutes sur scène, et bien qu’il mette un petit moment à se chauffer complètement, comme sa partenaire soprano, il régale le public à chacun de ses retours, et surtout dans le très beau duo d’amour du premier acte.
Stanislas Trofimov est un Sparafucile à la voix sombre correspondant parfaitement au personnage trouble de tueur à gage, dont il a également le physique impressionnant. Il forme avec Alisa Kolosova (Maddalena), d’origine russe comme lui, un très beau duo. La mezzo-soprano assure son rôle avec beaucoup d’aplomb, et son timbre chaud donne au personnage toute sa séduction et son charme.
Les rôles secondaires sont très bien portés par Pietro Picone (Matteo Borsa), Andrea Borghini (Marullo) et Kiril Chobanov (le Comte de Ceprano), qui forment le trio de comploteurs ennemis de Rigoletto. La basse Carlo Cigni est un excellent Comte de Monterone, dont la malédiction, proclamée depuis le premier balcon produit un effet surprenant. La soprano Alexandra Scholik (Giovanna, la Comtesse de Ceprano, un page) dispose d’un timbre inégal et d’une voix manquant de stabilité.
Sous la direction du jeune chef espagnol Gustavo Gimeno, l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg offre une partition pleine de contrastes et d’émotions après une ouverture particulièrement dramatique, mais montre aussi des problèmes de justesse peu dignes d’une phalange de haut niveau. Dans les passages délicats, la mise en place avec les chanteurs est parfois difficile, et le chef peine à régler les décalages. En revanche, le Chœur Philharmonique de Vienne, ici entièrement masculin, offre une interprétation riche et juste, et contribue pour beaucoup à la réussite de la soirée.
Enfin, la mise en espace de Bertrand Couderc est simple mais très efficace et surtout très juste, permettant au public de parfaitement comprendre l’intrigue. Les spectateurs sont complètement charmés, et applaudissent chaque fin d’air, chaque fin de scène, avec toujours plus d’enthousiasme. Simon Keenlyside reste la star de la soirée, et reçoit des applaudissements infinis !