Les Fées du Rhin à Tours : Offenbach, c’est du sérieux !
Après Philémon et Baucis de Gounod la saison dernière, l’Opéra de Tours poursuit son travail de redécouverte des œuvres méconnues des grands compositeurs français avec les Fées du Rhin d’Offenbach, dont il s’agit de la création scénique française (l’œuvre avait été créée à Vienne avant de tomber dans l’oubli pour n’en sortir dans une version concert qu’en 2002 au Festival de Montpellier). Il s’agit même de la création mondiale de la version en français (version d’origine, qui fut ensuite traduite en allemand). L’œuvre, conséquente (près de 3h20 de musique), contient de magnifiques pages (le duo entre Conrad et Hedwig, par exemple), dont une partie sera reprise par le compositeur dans d’autres œuvres (en particulier la fameuse barcarole des Contes d’Hoffmann) : ces passages permettent d’ailleurs de constater le net affinement de la prosodie entre ce premier jet et leur reprise ultérieure. Toutefois, les longueurs et redondances dramatiques (le récit de la fausse mort de Laura, par exemple, d’abord adressé à Franz, puis de nouveau à sa mère) de cette version en quatre actes permettent de comprendre qu’une version resserrée en deux actes ait été créée.
Pierre-Emmanuel Rousseau place l’intrigue au cœur d’une forêt des Balcans : la communauté d’Hedwig y est persécutée par la milice de Conrad, qui mène une guerre ethnique dans laquelle « le viol est une arme de guerre ». Oscillant entre un désir de réalisme et les obligations d’un livret fantastique, il se place dans un entre-deux inconfortable, dans lequel Laura ne tombe pas de l’effet de son chant à l’acte I (à l’image d’une Antonia qui laisse sa vie s’échapper dans son chant dans Les Contes d’Hoffmann), mais d’une balle dans le dos, tout en conservant le pouvoir des elfes (ici des femmes à têtes d’animaux), sortes de sirènes qui attirent les soldats vers leur mort. Il parvient en revanche à bien définir les personnages (parfois légèrement caricaturaux tout de même) et à marquer leur évolution.
La distribution proposée est homogène, avec des caractéristiques communes à tous les interprètes : une parfaite diction du français, d’abord, ainsi qu’un engagement théâtral convaincant. Tous forcent cependant sur leur instrument, ce qui sacrifie toujours le sens de la nuance, parfois la beauté du timbre, souvent la justesse. Dans le rôle écrasant et à l’importante évolution vocale de Laura, Serenad Burcu Uyar dispose des notes et de l’agilité requises. Au timbre clair et acéré de son registre aigu, qu’elle creuse d’un vibrato intense et longuement tenu, répondent des sonorités plus mates et charpentées dans le bas-médium. Marie Gautrot interprète Hedwig avec une intense implication théâtrale. Son timbre agréable malgré la vivacité du chant et la violence de certains fragments (elle n’hésite pas à avoir recours au cri ou au parlé-chanté pour transmettre les émotions de son personnage) s’assouplit dans une lamentation suave et douce lorsqu’elle pleure sa fille à l’acte II. Son vibrato long et épais agrémente un chant varié.
Jean-Luc Ballestra campe un terrible Conrad à l’instrument vaillant et structuré, mais dont le port de voix manque de stabilité. Sa métamorphose lorsqu’il apprend sa paternité est crédible et s’entend dans son chant qui se fait alors plus doux et plus posé. En Franz, Sébastien Droy se fait ténébreux, barbe de trois jours et capuche noire sur la tête. Son timbre corsé et forcé participe à dépeindre un personnage torturé, luttant contre son amnésie. Le jeune baryton-basse Guilhem Worms est un Gottfried sacerdotal à la voix claire, y compris dans les extrêmes graves dans lesquels il maintient la beauté du timbre, ou dans l’aigu qu’il couvre joliment. La ligne vocale doit toutefois s’affirmer encore pour gagner en stabilité. Enfin, Marc Larcher campe les deux petits rôles du Paysan et du Mercenaire d’une voix franche et élancée.
Benjamin Pionnier dirige son Orchestre Symphonique d’une gestique discrète et précise, exécutant notamment une très belle interprétation du ballet (conservé mais non dansé) dans un discours musical bien établi. Le reste de la partition est inégal, certains passages soufflant de grands élans tragiques ou caressant d’intimes moments de douceur ou de mystère, d’autres manquant de liant (dans l’ouverture, notamment). Quant au Chœur de l’Opéra de Tours, il se montre vigoureux et précis dans ses nombreuses interventions : les forces musicales se voient vivement applaudies à l’issue du spectacle, par un public jusque-là discret.