Rock’n roll & Psychédélie à la Philharmonie
Le week-end avait commencé en fanfare avec Le grand Wazoo, atelier et concert Famille présenté par l’Ensemble Intercontemporain. Une immersion dans le monde tumultueux de Zappa dont la musique entre en résonance avec celle de l’un de ses maîtres, Edgar Varèse. La journée du samedi se poursuivait avec Yellow Shark mis en regard avec les œuvres de compositeurs aux univers proches (Edgar Varèse, John Zorn et Bernhard Gander dans une pièce pour ensemble et DJ, en création française). Le week-end s’achève avec 200 Motels, exubérante fresque musico-théâtrale inspirée du vrai-faux rockumentaire co-réalisé par Zappa au début des années 70.
Le temps d’un spectacle, la Grande Salle Pierre Boulez de la Philharmonie se transforme en plateau de télévision à l’américaine version 70's : un animateur à paillettes, merveilleusement campé par Lionel Peintre (dont nos pages sont riches des qualités de comédien et de chanteur), encadré par deux charmantes animatrices sanglées dans leurs costumes « Flashy », Aliénor Feix et Marina Ruiz, toutes deux parfaites dans ces rôles. Dès que le public s’installe, le ton est donné, ambiance Show-Biz : des personnes du public sont interviewées, filmées et retransmises sur grand écran. Un gros dispositif technique est mis en œuvre pour capter toutes les subtilités du jeu d’acteur des protagonistes, deux caméras de poursuite, deux caméras fixes et une caméra miniature qui envoient successivement leurs images sur l’écran. Saluons ici, la très grande qualité de réalisation technique.
L’œuvre, savant mélange de musique classique contemporaine et pop-rock, est servie magistralement par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, les Percussions de Strasbourg, Les HeadShakers, le chœur Les Métaboles placés sous la direction efficace de Léo Warynski (qui nous détaillait ce projet-fou en interview). L’alliance du style contemporain et du rock est très réussie (on regrette cependant qu’elle ne soit que peu exploitée dans la musique de Franck Zappa). Musicalement parlant, l’interprétation de l’orchestre est remarquable tant dans les tutti que les soli.
La mise en scène, confiée Antoine Gindt, plonge dans cet univers Sexe, Drogues et Rock'n'Roll du début des années 70. Partant de l’argument de Franck Zappa, les musiciens du groupe, Franck, Mark et Howard (voix magnifiques aussi bien lyriques que rock, interprétées respectivement par Dominic Gould, Zachary Wilder et Nicholas Scott) sont invités sur un plateau de télévision locale. La grande originalité de cette mise en scène réside essentiellement dans la dualité du jeu live et du jeu caméra retransmis en direct. Le chœur Les Métaboles joue le rôle du public de l’émission, fébrilement accroché à leur téléphone portable pour filmer ou faire des selfies (caricature de notre société envahie par internet et l’instantanéité). Leur prestation vocale impeccable ne dénote que par quelques imprécisions sur les rythmes frappés.
Treize scènes sont proposées au spectateur. Un mini-opéra qui alterne des dialogues, chansons, interludes musicaux, moments chorals tous magnifiquement interprétés par les solistes et le chœur qui affichent une maîtrise du jeu et de la vocalité assez époustouflantes ! Mention spéciale pour Mélanie Boisvert qui chante une partie extrêmement difficile avec une merveilleuse aisance. Remarquable aussi, Nicholas Isherwood qui campe Rance, le manager avec une aisance vocale assez déconcertante, notamment dans le grave de sa tessiture. Son jeu d’acteur est impeccable, tant sur le plateau qu’en coulisses où il exécute notamment une scène du fil dentaire dans un registre assez allusif et décapant.
La pièce présente malgré tout certaines longueurs notamment vers son milieu, dans les passages orchestraux dont l’écriture musicale est très contemporaine. L’univers psychédélique de Zappa est toutefois clairement assumé en contrepoint : de sa transe dans une chambre d’hôtel crasseux, au ballon monstrueux de forme phallique enfourché par le personnage de la journaliste (Marina Ruiz). Après un débat assez humoristique sur la délicate question de la "dimension des pénis", le final est magistral : l’animateur se lance d’abord dans une prière collective en espérant que les pauvres et les démunis seront aidés et remercie les téléspectateurs pour leur participation, il transforme alors la salle en karaoké géant, le grand écran se pare de rouge avec un découpage évocateur… et invite le public à chanter en créant une ambiance digne des clubs de disco des Seventies !