Vivaldi en fête à l’Auditorium du Louvre sous le signe de Jupiter
Thomas Dunford s’est entouré d’artistes virtuoses rencontrés au cours de collaborations avec des ensembles prestigieux (Les Musiciens du Louvre, Les Arts Florissants, Le Concert spirituel…) afin de rendre plus moderne, plus accessible et touchante la musique ancienne transmise par leurs aînés et précurseurs : William Christie, Jordi Savall, Philippe Herreweghe... Jupiter, véritable laboratoire d’expérimentations et de partage, permet à chacun de développer sa personnalité dans un son et une énergie collective remarquable où l’entente humaine prévaut.
L’esprit de recherche est visible dès l’installation des musiciens. Les violonistes jouant debout, il fallait trouver une position permettant une connexion immédiate par le regard. La solution : surélever le violoncelle et le luth sur une estrade et enlever le tabouret du claveciniste, Pierre Gallon se retrouvant à jouer debout durant tout le concert.
Les instrumentistes une fois installés, Lea Desandre les rejoint pour débuter le concert avec « Vedro con mio diletto » extrait d'Il Giustino. L’aisance de l’émission vocale et son timbre magnifique permettent à la mezzo-soprano de songer à son amour dans une grande douceur. Suit l’air de furie « Armatae face et anguibus » extrait de l’oratorio Juditha triumphans, pour lequel la chanteuse convoque toute son époustouflante agilité. Le ton est donné et la soirée ne cessera de naviguer entre ces deux rives expressives.
Entre les pages vocales sont insérés deux concertos choisis parmi les cinq cents du compositeur prolixe. Un concerto pour violoncelle qu’interprète magistralement Bruno Philippe dans une grande inspiration. Le mouvement lent simplement accompagné au luth laisse le musicien développer tout le lyrisme généreux de son phrasé. Et quelle virtuosité dans le troisième mouvement où Vivaldi parvient à faire vocaliser le violoncelle ! Le luth qui, lorsqu’il exécute la partie de continuo est souvent couvert par les autres instruments, connaît son heure de gloire avec le concerto qui lui est dédié. L’écoute se fait dans un grand silence, le public ne voulant pas perdre une note de l’interprétation virtuose de Thomas Dunford.
Le clavecin se fait orgue pour l’extrait du Nisi Dominus, « Cum dederit » et dans une belle sonorité cotonneuse l’ensemble accueille les montées chromatiques des phrases de la chanteuse évoquant le sommeil promis par le Seigneur. La voix part du silence, s’amplifie en subtiles crescendi, restant droite pour les dissonances et s’arrondissant en fin de phrase. Quelle maîtrise du son et du souffle quand à la reprise la nuance devient encore plus piano ! Pour l’air suivant « Veni, veni me sequere fida », les violons de Théotime Langlois de Swarte et de Louis Creac’h se font tourterelles avec lesquelles Lea Desandre dialogue en vocalises délicates.
La deuxième partie s’ouvre sur les pleurs désespérés de Farnace « Gelido in ogni vena ». Les notes répétées des cordes jouées près de la touche évoquent le gel (Dans chacune de mes veines je sens couler mon sang glacial) et Lea Desandre enrichit sa palette de sons projetés et dramatiques, d’aigus pleins et vibrants et de sons poitrinés sonores. Bien que physiquement sur la retenue, manquant quelque peu de théâtralité, les mains agrippées au pupitre, jamais la mezzo-soprano ne semble peiner, des vocalises vengeresses de Caio dans Ottone in villa à la douceur prometteuse de Licida dans L’Olimpiade. Le concert s’achève avec l’explosif « Agitata da due venti » de Griselda, déclenchant l’ovation du public qui pourra très prochainement prolonger l’émotion du concert avec l’enregistrement de ce programme en CD. Cependant la soirée ne se termine véritablement qu’après le deuxième bis, une composition de Thomas Dunford imprégnée de rythmes jazz. Affirmant le bonheur de partager la musique avec ses comparses et célébrant l’amitié, il chante avec sa complice Lea Desandre : « Chacun est une petite goutte d’eau et ensemble nous formons un océan. »