À Toulouse, une Traviata en rose et noir
Pour l’ouverture de sa première saison à la tête du Théâtre du Capitole, Christophe Ghristi choisit l’un des opus les plus populaires du répertoire : La Traviata de Verdi, qu’il confie à Pierre Rambert dont c’est la première mise en scène d’opéra. Ce dernier revient à l’origine du drame en plaçant le symbole du camélia (le livret est tiré de la Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils) au centre de son iconographie. Les splendides costumes de Frank Sorbier en sont couverts et les décors d’Antoine Fontaine s’ouvrent et se referment sur une gigantesque fleur, qui semble dévorer la courtisane. De fait, la production est visuellement très aboutie. La cohérence dramaturgique de l’ensemble est en revanche plus difficile à saisir. La mise en scène, plutôt qu’intemporelle, est multi-temporelle (les costumes d’époque et les décors haussmanniens côtoient des mobiliers et une piscine modernes). La caractérisation des personnages lutte également contre le texte. Ainsi, Alfredo sourit-il quand son personnage s’inquiète de la santé de Violetta à l’acte I. Dans les derniers instants, alors que Violetta expire, il jette à terre avec dégoût la poupée donnée par elle et la représentant, comme s’il était déjà prêt à l’oublier. De même, la figure paternelle reste monolithique, seule son autorité (voire un machiavélisme) ressortant. Le livret offre pourtant au personnage une empathie, dès l’acte II, qui doit le rendre humain et touchant.
Une double distribution est convoquée pour couvrir les neuf représentations prévues en douze jours. Si la seconde s’annonce passionnante avec la prise du rôle d’Alfredo par Kévin Amiel, la découverte de Polina Pastirchak dans le rôle-titre et l’interprétation d’André Heyboer en Giorgio, la première est l’une des réussites de la soirée. Anita Hartig, ravissante Violetta, parvient à s’approprier tempi et nuances pour structurer un discours musical passionnant. Ses aigus cristallins, émis tout en retenue et rondement vibrés, transpercent le cœur (malgré quelques légers déraillements). Les yeux fermés, bercée par un tempo langoureux, elle cisèle les vocalises de son premier air avec éloquence. Au-delà de son chant, elle se distingue par son jeu scénique, y compris en dehors de ses interventions. Elle accepte son sacrifice le visage affligé, le souffle court. L’angoisse perce même dans son regard lorsqu’elle comprend qu’il lui coûtera la vie.
« J’avais besoin de larmes »
Airam Hernandez, pour ses débuts scéniques en France, incarne un Alfredo au timbre gorgé de soleil. Manquant d’abord de nuances, il monte en régime au fil de la représentation et offre de plus en plus d’intentions musicales et théâtrales. S’appuyant sur un soutien solide, il ancre un bas-médium riche et puissant, vibré avec souplesse. L’aigu final de son air de l’acte II est bref mais soyeux et maîtrisé. Nicola Alaimo (en récital le 3 octobre in loco) campe un Germont terrible dès son entrée (lunettes et parapluie noirs), grondant et manipulant. Même ses regrets finaux s’expriment avec la violence de la colère. Vocalement, le baryton, long en souffle mais manquant parfois de legato, offre une symphonie de couleurs vocales et une large palette de nuances : à chaque mot son intonation.
La Flora de Catherine Trottmann met en avant ses charmes physiques (effectuant une danse lascive pour son amant d’Obigny) et vocaux : sa voix charnue est joliment vibrée. François Piolino est un Gaston enjoué et très à l’aise scéniquement, à la voix portante et bien structurée. En Marquis d’Obigny, Ugo Rabec, tout aussi impliqué, dispose d’une voix fine, vibrante et brillante. Marc Scoffoni est un Douphol bouillant de colère et de jalousie, dès les premières notes. Lançant les cartes d’un claquement de doigt lorsqu’il affronte Alfredo au jeu, il déploie un phrasé acéré et un timbre sombre qui conviennent parfaitement au personnage. Francis Dudziak campe un Docteur Grenvil touchant malgré le manque de stabilité de sa ligne vocale. Anna Steiger est une Annina tantôt boudeuse et tantôt attendrie, à la voix vacillante.
Le chef George Petrou, à la tête de l’Orchestre national du Capitole, accentue les dissonances annonciatrices du drame. Marquant les respirations, il entraîne sa phalange d’une gestique ample et claire. S’il trouve bien l’énergie du drame, il se montre parfois pesant dans les scènes festives ou dans le final de l’acte II. Il soigne en revanche les contrastes, trouvant la lumière de l’espoir dans l’introduction mélancolique de l’acte III. Le Chœur du Capitole est bien en place (hormis quelques claquements de mains sur les mauvais temps dans le chœur des Bohémiennes) et offre des tableaux scéniques vivants et puissants.
L’ensemble des artistes est applaudi debout (malgré une ou deux huées accueillant le metteur en scène). Largement ovationnée, Anita Hartig répond d’un « merci beaucoup » en français dans le texte. La prochaine production du Théâtre s'attaquera à un ouvrage bien moins populaire : La Ville morte de Korngold (à réserver ici).
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