Les majestueux trésors sacrés de Colonna par Alarcón à Ambronay
Lors de la seconde moitié du XVIIe siècle, la musique religieuse italienne est en pleine transition, devant répondre à des goûts nouveaux. Or, respecter les normes en vigueur tout en s’adaptant aux besoins du temps n’est pas une tâche facile. Ce fut celle de l’organiste Giovanni Paolo Colonna (1637-1695), maître de chapelle de la Basilique San Petronio. Sa science du contrepoint et du style concertant, particulièrement vocal, fit sa renommée dans toute l’Italie : certains musicologues pensent qu’il servit de modèle pour les oratorios de George Friedrich Haendel (1685-1759). À cause de son époque, Colonna doit combiner l’austérité des goûts anciens et la brillance des nouveaux. S’il a assurément participé à la fondation de l’école de Bologne, où il fut notamment président de l’Académie philharmonique, et sut mettre en valeur l’architecture de la Basilique, usant de doubles chœurs avec deux parties de continuo – une pour chaque orgue qui se font face –, son œuvre, essentiellement sacrée, tomba peu à peu dans l’oubli. Il faut attendre la curiosité et la passion de Leonardo García Alarcón pour que quatre œuvres resurgissent en la grandiose abbatiale d’Ambronay.
La découverte commence avec la Messa in 5 voci (1691), dont seules les sections du Kyrie et du Gloria ont été mises en musique, leur dimension étant déjà très importantes pour le déroulé normal de la liturgie. La messe est introduite par une Sinfonia démontrant toute la virtuosité de la violoniste Sue-Ying Koang ainsi que le son chaleureux de la Cappella Mediterranea. Le Chœur de chambre de Namur rentre avec puissance sur le « Christe eleison », enveloppant ensuite l’auditeur des « Kyrie eleison » fugués. La plupart du temps, les parties instrumentales doublent celles des chanteurs, avec toutefois des ornementations pour enrichir encore la dense polyphonie et quelques commentaires pour assurer la continuité du discours. Les deux ensembles se montrent très homogènes, dans le son et également dans les intentions, certainement en grande partie grâce à la direction expressive, ample et investie de Leonardo García Alarcón, tantôt caressante et sensible, tantôt droite et directive. Les différentes dispositions du chœur, selon les parties à cinq voix ou en double chœur, sont très efficaces pour l’immersion de l’auditeur dans un monde sonore aux couleurs extrêmement soignées, amplifiant ainsi les couleurs harmoniques. Celles-ci paraissent simples mais sont servies par une écriture polyphonique dense et rythmée, alliant effectivement majesté et austérité. Entre autres beaux moments, le « Crucifixus » du Gloria de la Messe fait ressentir des harmonies à la fois agréables et douloureuses, ou encore les couleurs du « Lux aeternam » du Requiem sont particulièrement superbes. On aurait pu toutefois souhaiter du chœur davantage de précision dans les terminaisons.
Parmi les quatre solistes, le public ambrunois ne peut que tomber sous le charme du timbre frais et juvénile de la soprano Julie Roset. Son phrasé est toujours naturel, ses aigus sont lumineux et sa présence est tout simplement exquise. Restera en mémoire son duo avec le chanteur alto Carlo Vistoli, où la soprano se fait véritablement touchante par sa sincérité et sa fraîcheur. L’autre belle voix de la soirée est justement celle de l’italien Carlo Vistoli : sa ligne vocale peut sembler froide au premier abord, certainement à cause de sa concentration patente, elle est en réalité droite, sûre et très pertinente. Porté par son timbre homogène et savoureusement rayonnant, son discours est expressif avec justesse. Le ténor Valerio Contaldo fait entendre un très beau timbre, sachant être à la fois brillant et suave. La soprano argentine Mariana Flores met un moment pour être à l’aise et laisser sa voix s’épanouir, se projeter davantage et laisser s’exprimer sa gestuelle. Assurément plus à l’aise dans le registre médium et aigu, elle peut faire entendre des sons droits qui ne mettent pas en valeur son timbre, qui sait être suave. En s’accompagnant de sa main, les courbes de ses phrasés sont parfois agréablement communicatrices, mais pourraient gagner en naturel et en une lecture plus globale du discours musical. Lorsqu’il est audible, c’est-à-dire lors de ses quelques interventions seul avec un accompagnement réduit, la basse Alejandro Meerapfel, au timbre rond, semble d’abord attentif à la lecture et concentré sur sa ligne vocale, manquant d’un peu de souffle pour la tenir jusqu’au bout, malgré son grave et sa musicalité.
Le public se montre fort séduit par cette découverte de la musique de Colonna, magnifiquement défendue par Leonardo García Alarcón et ses ensembles : les couleurs et les harmonies sont souvent superbes, l’écriture parfois agréablement majestueuse, bien que l’austérité reste quasi-constante, particulièrement dans le Requiem, empêchant les contrastes qui raviveraient l’intérêt de l’auditeur, malgré les intentions des musiciens – magnifiées par des modestes mais efficaces effets de lumières. Après avoir donné en bis le très beau Kyrie de la Messa in 5 voci, le chef remercie chaleureusement son public, le saluant en faisant comprendre ce qu’il attend déjà : « À l’année prochaine ! »